Les théories scientifiques sont une composante fondamentale de la science. Toutefois, la définition d’une « théorie scientifique » est souvent mal comprise en raison de l’usage commun de la phrase. Cet article va traiter de la définition d’une théorie scientifique et des erreurs communes dans l’utilisation du terme. Il aborde également les méthodes qu’utilisent les scientifiques pour créer des théories et la façon dont ces dernières sont jugées « bonnes » ou « mauvaises ».
La théorie, vous connaissez ?
Nous allons tout d’abord commencer par définir le terme de théorie, sur quoi cela influe et les malentendus qui y sont liés.
Le mot « théorie » se décline en plusieurs significations. Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales nous en donne quatre majeures qui sont :
- un ensemble de notions, d’idées ou de concepts abstraits appliqués à un domaine en particulier ;
- des connaissances abstraites et spéculatives indépendantes des applications ;
- une construction intellectuelle, hypothétique et synthétique, organisée en système et vérifiée par un protocole expérimental; ensemble de lois formant un système cohérent et servant de base à une science, ou rendant compte de certains faits ;
- un ensemble d’opinions systématisées.
Il est clair que la définition scientifique d’une théorie n’est compatible qu’uniquement avec la troisième. Toutefois, le fait que la première, la deuxième et la troisième aient ce mot en commun, il en résulte une grande confusion sur la nature de « théorie ».
Une théorie n’est rien de plus ou de moins qu’un ensemble de propositions expliquant ou décrivant une observation.
Appeler une proposition par « théorie » ne veut pas dire que la proposition est correcte, voire susceptible d’être correct. Une théorie peut être aussi bien étayée par une preuve ou ne peut l’être, voire se situer quelque part entre les deux.
Hypothèse
Les théories qui sont actuellement non testées ou en cours de tests, sont appelées des hypothèses.
Les « hypothèses » sont généralement mieux décrites dans la plupart des définitions dictionnaires. Le CNRTL nous explique qu’une hypothèse est une « Proposition (ou ensemble de propositions) avancée, provisoirement, comme explication de faits, de phénomènes naturels et qui doit être, ultérieurement, contrôlée par la déduction ou par l’expérience » (3-b).
Un malentendu que l’on retrouve habituellement est que quoi que ce soit, classé dans la définition « théorie » ne peut être que fondé sur des preuves très faibles voire préliminaires. Après tout, c’est comme cela que ce terme est utilisé dans les conversations informelles. Toutefois, avec cette définition et lorsqu’il s’agit de science, il est préférable de parler « d’hypothèses » plutôt que de « théories ».
Les lois scientifiques
Certaines théories sont testées et généralement acceptée par la communauté scientifique. Lorsque c’est le cas, cela devient une « loi ».
Il existe très peu de ressources francophones à ce sujet. Le Dictionnaire Américain de l’Héritage Scientifique le définit comme « une déclaration qui décrit les relations invariables entre les phénomènes sous un ensemble spécifié de conditions » (Margery Berube. The American Heritage Science Dictionary. Houghton Mifflin Company, 2005.). Le mot-clé est « décrit ».
En effet, une Loi Scientifique est une description concise de phénomènes observés à ce jour. Manifestement, une Loi ne présente pas de contenu explicatif. Autrement dit, elle ne spécifie que des phénomènes observés sans rechercher à les expliquer.
Le travail d’explication des phénomènes décrits par les lois repose généralement sur des théories plus générales et des hypothèses.
Par exemple, la loi de la gravité exige qu’un ballon soit tenu au-dessus du sol, et une fois lâché, tombe à terre. Ces prédictions ont été démontrées comme étant correctes. Mais faire tomber des objets pour confirmer la validité de la loi gravitationnelle n’explique en rien ce qu’est la gravité, pourquoi elle existe et comment elle fonctionne : ce travail est relégué à la théorie de la gravitation.
Toute théorie qui tente d’expliquer la gravité se construira nécessairement au-dessus de la loi sur la pesanteur.
Certains des malentendus courants inhérents aux lois scientifiques incluent que :
- les lois scientifiques sont des faits indiscutables ;
- les lois scientifiques dictent la façon dont le monde naturel fonctionne.
Tout d’abord, les lois ne sont qu’un type particulier, une partie de la théorie qui est bien acceptée par la communauté scientifique. Donc, comme toute théorie, une loi est confirmée par des preuves empiriques et peut être infirmée à tout moment si un contre-exemple approprié est trouvé. Une loi ne doit pas être considérée telle une vérité inchangeable, mais plutôt à l’identique d’une déclaration qui est acceptée comme susceptible d’être vrai.
Deuxièmement, une théorie n’est pas un modèle. Une loi ne fait pas exception. Les lois scientifiques ne font que décrire des phénomènes observés. Elles sont le reflet de la nature, et non pas son dictateur. Chacune d’entre elles peut être brisée à tout moment par un phénomène qui n’avait pas été observé auparavant. Si un tel événement venait à se produire, la loi en question serait jugée inadéquate et devrait être révisée pour recueillir les nouvelles preuves.
Théories établies
Malheureusement, il n’y a pas de terme qui renvoie à une théorie bien établie corroborée par une grande quantité de preuves. Une hypothèse est un terme concis pour une théorie non-confirmée, provisoire. Pour les théories bien établies, les scientifiques font généralement référence entre eux à « La Théorie de X », où X est le phénomène en question. Implicite dans cette utilisation, c’est l’idée que « La » théorie à laquelle ils se réfèrent, est la théorie la plus largement acceptée et bien établie dans le domaine.
Cette utilisation de la terminologie est régulièrement source de confusion. Si une proposition est décrite comme étant une « théorie scientifique », il est facile de passer à une conclusion subversive en disant que la théorie est bien établie. Le soucis est donc que n’importe quel scientifique peut proposer une théorie via une autre théorie par un ensemble de proposition expliquant quelque chose. Pire encore, Certains d’entre eux s’excluent parfois mutuellement à cause de théories concurrentes du domaine scientifique. « Chaque partie » est supportée par des preuves et ont même peut-être fait des prédictions réussies. Bien sûr, ils peuvent aussi tous avoir tort, mais ils seront dans le cadre de la théorie scientifique.
Prenons une illustration : dans le début du 20ème siècle, il y avait deux grandes théories concurrentes en physique sur les origines de l’univers. Une première expliquait que l’univers était dans un état d’équilibre où la masse est constamment créée puis détruite (la théorie de « l’état stationnaire »). Une autre a proposé une naissance violente et explosive à un moment donné de son histoire (la théorie du « big bang »). Des preuves ont été exposées de chaque côté, où chacun des groupes avaient des personnes intelligentes et des scientifiques qui avaient travaillé dur. Cependant, les théories étaient mutuellement exclusives et l’une d’elles ne pouvait être correct.
Il a fallu attendre le milieu de ce siècle pour que suffisamment de preuves soient accumulées, afin de faire pencher la balance en faveur de la théorie du big bang. L’élément qui a été la clé fut l’observation de l’éloignement des galaxies les unes des autres, et que l’univers avait un unique rayonnement indiquant une seule explosion cataclysmique. La théorie de l’état stationnaire ne pouvait pas prendre en compte ces observations tandis que celle du big bang les avait prédites. Finalement, un consensus autour de cette dernière théorie s’est fait dans la communauté scientifique.
La leçon à tirer ici est que, si une chose est appelée « théorie scientifique », un certain niveau de connaissances est nécessaire pour l’approfondir dans le but que la communauté scientifique ayant les compétences dans ce domaine puissent l’accepter. Rien sur le terme « théorie » ne suggère automatiquement que le bien-fondé de cette dernière la prouve.
Création des théories
Il est assez simple de créer des théories. Toute proposition qui tente d’expliquer quelque chose est une théorie, par définition. Cependant, il est peu probable que la création de théories qui sonnent bien deviennent vraie. Une sorte de méthode standard pour les créer est nécessaire.
L’outil philosophique, connut sous le nom de « l’induction », peut aider à créer des théories qui seraient considérées comme sérieuses. Plus particulièrement un type d’induction appelé « génération inductive ». Dans sa forme la plus simple, cette méthode consiste à prélever des échantillons de phénomènes et à généraliser à partir de ces derniers. Il en résulte ensuite une théorie.
Si des échantillons sont recueillis sur un objet quelconque, et que tous ces objets ont un trait particulier X, alors le scientifique peut en déduire que tous les objets de ce type ont le trait X. La théorie peut toujours être testée par la collecte d’échantillons supplémentaires. Si le trait correspond, la théorie est « confirmée » par la preuve. Au contraire, si le trait ne correspond pas, le nouvel élément infirme la théorie. Ainsi, pour être prise au sérieux, une théorie doit, au minimum :
- Être logique et cohérente (et ne doit pas se contredire) ;
- Adapter les éléments disponibles concernant les phénomènes à expliquer ;
- Faire des prédictions précises sur les éléments de preuve est attendu pour vérifier la théorie.
Ces contraintes sur les potentielles théories scientifiques permettent de mettre à l’écart des théories absurdes. Mais de nombreuses théories, qui ont de grandes chances d’être fausses, peuvent tout de même ne pas être filtrées. Une théorie pourrait prédire avec précision que durant l’année 2532, toute la physique connue se décomposera et sera remplacée par un nouvel ensemble de lois. Néanmoins, cette théorie est peu susceptible d’être acceptée en raison de facteurs qui vont au-delà du simple respect des faits existants.
Ce problème est résolu en évaluant sa vraisemblance.
Évaluation des théories
La responsabilité des scientifiques est de créer des théories qui expliquent les phénomènes naturelles. Toutefois, leur responsabilité ne s’arrête pas là. Ils doivent également séparer les bonnes théories des théories douteuses et verrouiller les correctes pour former un cadre cohérent.
Cela soulève la question de ce qu’est une « bonne » théorie d’une « mauvaise ». Une approche naïve pourrait définir une « bonne » par celle qui est valide et la « mauvaise » par la théorie erronée. En pratique, cette approche ne peut pas fonctionner, parce que les humains n’ont pas un accès sans entrave à la vérité absolue. Toutes les informations sur notre monde sont filtrées et opacifiées en fonction de nos sens et des préjudices subis issus de nos valeurs et de notre culture. Malgré cela, nous savons que le monde réel existe et que nous devons choisir les théories qui expliquent le mieux les phénomènes observés. Mais comment faire ?
Les meilleures définitions et plus complètes sont considérées comme de « bonnes » théories. On peut comprendre qu’une théorie contredite par des phénomènes observés est peu probable d’être correcte (par exemple une prédiction disant que tous les objets tombent vers le haut). La théorie ne peut pas être considérée comme « prouvée » fausse car les observations peuvent aussi se tromper, il peut y avoir trop peu d’observations, ou il peut y avoir d’autres facteurs inconnus en cours qui changent les observations de la prédiction théorique. En dépit de cela, la théorie est considérée comme probablement incorrecte et ne vaudra aucun soutien tant que de meilleures solutions de rechange sont disponibles.
Une théorie qui représente et explique tous les phénomènes observés avec exactitude et précision tout en prédisant des événements futurs sont très susceptibles d’être correctes. La théorie du mouvement planétaire qui, avec constance et succès, prédit l’emplacement de la Terre dans le système solaire depuis de nombreuses années est susceptible d’être exacte. Toutefois, une nouvelle observation pourraient être prises en compte à tout moment et contredire la théorie. Dans ce cas, la théorie peut être retravaillée ou remplacée par une autre.
Étant donné que les bonnes théories sont susceptibles d’être vraies, la question sera maintenant de savoir comment évaluer la « probabilité ». Plusieurs auteurs ont proposé des évaluations, incluant :
- Explication : la théorie fournit une explication satisfaisante des phénomènes observés ;
- Testabilité : la théorie est compatible avec de nouvelles données ;
- Généralité : la théorie explique les maximums possibles ;
- Simplicité : la théorie ne contient pas d’éléments inutiles ;
- Intégration : la théorie est compatible et coopère avec d’autres théories établies.
Le principal emploi d’une théorie est d’expliquer les phénomènes observés. Évidemment, si une théorie ne peut pas faire cela (par exemple, elle ne tient pas compte de tous les phénomènes observés ou n’a pas de mécanisme proposé pour le fonctionnement de ces phénomènes), elle n’est pas très utile ou susceptible d’être incorrecte. Au minimum, toute théorie doit tenter d’expliquer les phénomènes déjà observés.
L’explication seule est un bon point de départ pour mesurer la probabilité de la vérité scientifique, mais pas seulement. Les théories les plus simples sont celles qui correspondent parfaitement aux observations passées, les plus complexes sont de prédire des événements futurs. Et il est encore plus difficile de créer des théories qui prédisent des événements non-évidents de façon très pointue. Des prédictions vagues ne sont pas très intéressantes (par exemple le soleil se lèvera parfois le lendemain matin). Les théories qui ne prédisent rien, sont encore moins intéressantes. Des prédictions utiles, précises, et non-évidentes sont les plus intéressantes et offrent des preuves convaincantes sur la justesse de la théorie.
Si de multiples théories expliquent et prédisent des phénomènes avec précision, alors la théorie qui explique le plus de choses et le plus simplement possible sera la plus estimée que les théories disjointes et complexes. Ces termes peuvent sembler porter sur des fonctions plus esthétiques qu’autre chose, mais une hypothèse de base scientifique qui s’affiche de façon désordonnée et inutilement complexe est moins susceptible d’être vraie que les théories simples.
Les théories simples sont plus faciles à travailler que celles complexes. Donc, si deux théories expliquent de manière adéquate des éléments de preuve, la tendance humaine sera d’utiliser la théorie la plus simple.
L’idée « d’intégration » est obscure. La plupart des personnes qui ne sont pas de la communauté scientifique ne sont pas au courant et même certains, qui se trouvent pourtant dans la communauté de chercheurs, peuvent n’y adhérer qu’inconsciemment. Fondamentalement, les étapes d’intégration ne sont pas un vide sans fond. D’autres théories dans le même ou dans différents domaines ont été créées de façon indépendante, raffinées et testées. Si une théorie qui explique la preuve, fait de bonnes prédictions, est simple, mais est en contradiction avec d’autres théories bien établies (du même domaine ou d’autres), alors quelque chose ne va pas. Très probablement, la nouvelle théorie est fausse car les autres ont déjà été confirmées par de grandes quantités de données expérimentales.
L’idée « d’intégration » est parfois considérée comme un vice scientifique plutôt qu’une vertu. Si quelqu’un arrive avec une nouvelle hypothèse qui ne cadrent pas avec la théorie existante, les scientifiques l’écartent généralement. Ces scientifiques sont perçus comme peu disposés à entendre les points de vue autres que les leurs. Alors qu’un bon scientifique essayera de garder un esprit ouvert, il se devra également de conserver un esprit tempéré au vu du poids qu’ont les preuves expérimentales des théories établies.
Jeter une théorie établie composée d’une montagne de preuves la soutenant n’ait pas une chose vraiment aisée. Bien sûr, l’histoire de la science est pleine de théories acceptées qui ont été renversées par de nouvelles qui avaient un meilleur pouvoir explicatif. De nouvelles idées peuvent surgir, mais si elles ne cadrent pas avec les théories établies, elles feront face à une longue et difficile bataille.
Pour conclure
Dans cet article, nous avons discuté de la définition, de la création, et de l’évaluation des théories scientifiques. Nous avons établi que les théories scientifiques sont tout simplement des ensembles de propositions décrivant les causes des phénomènes observés et nous avons précisé que l’utilisation commune du terme « hypothèse » était plus juste. Les théories scientifiques sont plus généralement créées par le processus d’induction, par n’importe qui, à n’importe quel moment. Les théories sont mesurées par leur capacité à expliquer les données existantes, de prédire l’avenir des preuves, et de coopérer avec d’autres théories établies. Les bonnes théories prédisent également un large éventail de phénomènes et se doivent d’être aussi simple que possible.
Citations de John Oleszkiewicz.
j’ai été très satisfait surtout de la précision des définions fournies puor chaque mot théorie, hypothèse, loi scientifique…Merci