Le droit à la vie privée peut-il signifier être privé du droit à vivre sa vie ? Un développement et un point de vue uniques sur ce dogme vieux de plus de 2000 ans.
Nous savons que les être vivants sont des créatures expérimentales. Ils sont principalement au sommet de l’évolution, sociaux et peuvent donc cumuler avec leur capacité expérimentale et celle du groupe. Les animaux pensant sont ceux qui arrivent à assembler des choses ensemble pour en donner une nouvelle, de façon inédite. Ce qui différencie l’humain du reste du vivant n’est pas la pensée, c’est le désir insatiable et intarissable de partager lui-même massivement son savoir et ses expériences.
Ainsi, je pense que dans l’avenir chacun de nos faits et gestes, pensées et expériences, visions et apprentissages, seront partagés en temps réel à tous les humains dans un langage qui pourra trier automatiquement la pertinence avec des stimuli adéquats pour chaque individu.
Cela ne marquera pas une forme d’eugénisme car notre approche du monde dépend de la façon de percevoir de chacun. Tant bien même nous serions tous équipés d’appareillages identiques pour stimuler et ajouter à notre compréhension du monde, notre constitution chimico-physique, notre situation géographique, la façon dont nous bougeons et nous sommes nés, notre génome, (…) tous ces paramètres qui font de nous des êtres uniques, conserveront notre individualité et notre intégrité. La seule différence est que chaque personne pourra accéder à tout/s, et acquérir toutes les expériences qu’elle-seule comprendra et traduira pour à nouveau les renvoyer au monde.
Cette tendance a émergé dès nos premiers outils, la création de l’économie, la croyance et la foi, l’institutionnel, la philosophie, la science, la technologie mécanique, électronique puis informatique, la téléphonie, l’internet, les réseaux sociaux et l’information virale. Nous pouvons remarquer qu’à chaque fois que les outils se complexifient, leur utilisation devient plus simple mais plus connectée. Les informations virales sont le meilleur exemple contemporain pour en expliquer la démarche. En effet, si nous prenons l’exemple des images virales, la majorité sont des citations soit : le condensé de l’expérience de l’auteur à destination de la majorité au-dessus d’une caricature explicite et symbolique de la pensée. Ainsi, nous ne pensons pas pareil par des images identiques, nous partageons seulement la même expérience massive d’une autre personne, différemment des autres et que nous ne nous cachons pas de communiquer.
Aujourd’hui de nombreuses questions émergent par l’application du partage de l’expérience visuelle telle que peut le faire les Google Glass ou encore la normalisation du Material Design (entre autre). Ces termes reviennent à la bouche de tous à savoir : le droit à la vie privée.
D’après le Sénat, il s’agit de ceci :
« La jurisprudence n’en donne pas non plus de définition précise mais elle s’est attachée à en cerner les contours. De ses appréciations successives, on peut conclure que le droit au respect de la vie privée est » le droit pour une personne d’être libre de mener sa propre existence avec le minimum d’ingérences extérieures « , ce droit comportant » la protection contre toute atteinte portée au droit au nom, à l’image, à la voix, à l’intimité, à l’honneur et à la réputation, à l’oubli, à sa propre biographie « .
Les domaines inclus dans la protection de la vie privée comprennent essentiellement l’état de santé, la vie sentimentale, l’image, la pratique religieuse, les relations familiales et, plus généralement, tout ce qui relève du comportement intime. La jurisprudence admet que des informations sur le patrimoine ou les revenus cessent de relever de la vie privée dans certains cas. Le critère retenu est celui de la pertinence de l’information par rapport au débat d’intérêt public. Il peut donc être légitime de consacrer une série de reportages à des affaires criminelles ayant eu un grand retentissement dans le passé. En revanche, on ne doit pas fournir, à cette occasion, des renseignements sur la vie personnelle actuelle d’une personne condamnée lors d’un des procès en question et ayant purgé sa peine, sur sa famille et sur ses habitudes. Ceci ne correspond en effet à aucune nécessité pour l’information du public. » [source]
Comme nous le lisons, effectivement, cela est difficile de savoir ce que c’est. Grossièrement dit, il s’agit d’avoir le droit de conserver pour soi ce qui est intime et ce qui correspond au foyer.
Or, nous savons très bien que ce droit peut être déchu en toute circonstance. Je n’émettrai pas d’avis manichéens, seulement pragmatiques. Les exemples sont multiples pour protéger ce bien privé, comme pour s’en défaire, ou, pour protéger le bien privé d’un autre, comme pour l’en défaire.
Admettons que vous, lecteur, êtes un pédophile. Il est clair que vous aimeriez que cela demeure dans la sphère privée. Admettons autre chose, vous avez une nouvelle relation et vous avez envie de le crier sur tous les toits. Les deux choses, assez extrêmes, je l’avoue, sont de l’ordre de la sphère privée. Vu de l’intérieur, cela vous paraîtrait sûrement logique. Maintenant changement de point de vue. Vous entendez la femme du voisin se faire battre par son mari chez elle. Si vous respectez leur vie privée, alors vous êtes en accord pour ne pas intervenir. Autre chose, vous avez un ami qui a un journal intime depuis trente ans et lors d’une soirée chez lui, vous voyez un inconnu le lire en sachant pertinemment que votre ami serait très en désaccord. Si vous respectez sa vie privée, alors il y a de fortes chances que vous interveniez d’une façon ou d’une autre pour la protéger. Toutefois, il s’agit ici de situations bien connues et comprises. Il n’en est pas de même lorsque des gens acquièrent un statut leur permettant de délivrer l’ensemble des expériences qu’ils cumulent avec un nouvel outil.
Les Google Glass en sont un illustre exemple. En effet, quid de l’image que l’on prend de vous sans que vous le sachiez et sans votre accord. Mais à l’inverse, quid du droit à la personne de partager son expérience de vie privée ? Oui, cela est l’image prise de votre personne, mais c’est également l’intimité de la personne qui vous voit. Nous arriverons bientôt à exploiter les expériences et pensées de tous avec des moyens connus et/ou inconnus pour le moment. Ces informations contiendront une part de votre vie intime à savoir votre image, votre empreinte vocale, vos déplacements, etc. Mais ce seront également les pensées de la personne, y compris ce qui forme son individualité.
Le paradoxe est donc déjà présent. Devrons-nous fermer les yeux pour marcher, se mettre dans une bulle et signer un papier pour chaque action que l’on fait ? Évidemment cela ne paraît pas crédible. Devrons-nous interdire toutes les technologies ou leur mésusage moral ? Cette question revient souvent à savoir la décroissance ou la limitation technique.
Il n’y a aucune limite, aucun bond technique qui nous a fait arriver du point A au point B. Quelle est l’origine d’une « invention » ? La croyance populaire dit que l’invention vient de l’inventeur. Il n’y a rien de plus faux à cela. L’invention est toujours émergente. L’ordinateur n’est pas tant différent du marteau. Une invention est le résultat d’une contingence d’événements qui se sont déjà produits et qui ont permis son avènement. Pour chaque invention frugale, il y a des centaines d’inventeurs qui sont prêts à y aboutir également, car il y en a des millions auparavant qui ont créé le terreau fertile à sa naissance. De même, les produits que nous avons sont des versions bien postérieures à tous les autres produits du même phénotype.
Comme pour la théorie de l’évolution, un outil n’en devient pas un autre en un claquement de doigts. Un oiseau n’est pas devenu un oiseau en sautant. Il a fallu un enchaînement de situations controversées par un environnement où seul l’outil le plus fiable et le plus adapté à un temps donné se trouve être utilisé et diffusé tout en continuant à évoluer. D’ailleurs, pour la théorie de la Sélection naturelle de Darwin, il n’était pas le seul candidat, d’autres ont demandé la paternité de cela car ayant effectué presque les mêmes recherches. Toutefois, la théorie de Darwin était la plus adaptée & cohérente aux conditions naturelles et au monde physique.
La technologie va donc aller en progressant et à une cadence toujours plus rapide. Effectivement, nous parlons beaucoup du fait qu’il y ait de plus en plus d’êtres humains sur Terre, mais pas beaucoup de la proportion exponentielle de ceux-ci devenant des scientifiques, designers, techniciens, ingénieurs, (…). Cela a pourtant son importance. Plus de personnes qui réfléchissent donnent lieu irrévocablement à bien plus de nouveaux outils, et donc bien plus de terreaux fertiles pour le développement d’autres. Et la tendance actuelle, comme celles du passé demeurent dans le fait que les humains tissent encore et toujours plus de liens entre eux, partageant bien plus d’expériences – non pas de génération en génération – d’un mois à un autre. Toute la Terre peut être maintenant scandalisée par un chien maltraité par un villageois des montagnes de l’ouest de la Chine… qui ne possède pas l’accès à l’internet. Tout le monde partage les souffrances d’un enfant israélien et palestinien d’un conflit vieux de plusieurs décennies. Tout le monde a peur en voyant cette fragile et insignifiante planète dans un coin perdu de l’espace, en banlieue d’une galaxie commune. Tout le monde est choqué lorsqu’un arbre presque millénaire de la forêt d’Amazonie est détruit. Tout le monde pleure de joie en voyant ce militaire, parti depuis longtemps, faire une surprise à son enfant.
Nous voyons donc que la vie privée telle qu’elle est définie, ou les conditions-mêmes de son existence, n’est pas concrétisable. Et nous nous rendons vite compte que ce sont les points corrosifs à la société qui souhaitent conserver cet état de fait. « On s’est filmé en train de faire l’amour, je ne veux pas diffuser cela, imaginez que ma famille tombe dessus, ou pire, que l’on pense que je sois un mauvais coup ». « J’ai grugé pour le bus, je ne veux pas que cela se sache sinon je vais avoir une amende ». « Imaginez que l’on sache que j’ai trafiqué les comptes de mon entreprise ». « Heureusement qu’il y a le secret d’État et la vie privée pour cacher mon petit trafic sinon je ne pourrais pas mettre toute ma famille à l’abri de l’avenir ». Je suis sûr que qui que vous soyez, vous entendez ce genre d’écho ou d’autres.
Nous vivons tous avec un masque et un rôle que nous avons peur de laisser tomber. Nonobstant, nos peurs se situent sur nous, par des projections d’autres peurs. La technologie va faire disparaître cette barrière, cela est terrible pour chacun. Mais d’autres perspectives contrebalancent cela. Nous saurons tout de l’autre. La barrière de l’étranger qui signifie finalement la personne étrange, que l’on ne connaît pas, fondra comme neige au soleil – ce qui est déjà bien amorcé. Les entreprises, les gouvernements et tout regroupement ne pourront plus cacher leurs secrets. L’abandon de la vie privée ne signifie pas un viol collectif par des puissants, ou de l’anarchisme populaire, mais un monde au contraire libre de droit et avec un pouvoir de créativité qui transcendera largement toutes les frontières des limitations que nous avons. À l’inverse de ce que nous croyons, cela ne nous fera pas rentrer plus dans un moule, mais marquera plus significativement que jamais nos différences, tout en alliant notre audace, notre ingéniosité et notre sensibilité, individuellement, pour un monde commun.
La liberté de tous se trouve dans l’évolution de la relation à l’autre, pas dans sa limitation.
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