Leur ingéniosité mérite-t-elle toujours le doux qualificatif de « cervelle d’oiseau » ?
Résumé
Notre critère d’intelligence appliqué aux animaux concerne souvent ceux qui sont capables de nous imiter. Pour Konrad Lorenz, le fondateur de l’éthologie, l’étude du comportement des animaux, l’instinct régit le fonctionnement des oiseaux. L’instinct ? aujourd’hui, les chercheurs n’utilisent plus ce mot pour expliquer leurs comportements, et il n’a plus que le sens de mécanismes automatiques, avantages évolutifs de l’évolution, qui conduisent par exemple les oies à ramener à elles leurs œufs tombés du nid avec le bec, effectuant l’action automatiquement, même si on l’enlève ou qu’on le remplace par un objet carré de la même taille. La vision de l’animal-machine de Descartes a vécu, et les chercheurs repoussent toujours plus loin nos connaissances sur le potentiel créatif des oiseaux.
Qu’est-ce qui permet à des milliers d’étourneaux de voler ensemble sans jamais se cogner, dans des mouvements de groupe qui nous apparaissent d’une extrême complexité ? Le questionnement sur l’intellect des oiseaux a montré qu’ils peuvent résoudre des problèmes mais que leur façon de les aborder dépend de leur environnement d’origine. Le film dépasse le débat inné/acquis en s’intéressant à l’apprentissage par le jeu et à l’influence de l’environnement sur leur comportement.
De plus, le lien entre taille du cerveau et intelligence animale est remis en question. Les chercheurs s’intéressent aussi à des notions plus polémiques, comme les sentiments et l’empathie chez les oiseaux.
Qu’avez-vous raté
S’il fallait encore se convaincre de l’ingéniosité qui règne dans le monde animal, ce documentaire serait un « must see », qui a le mérite de partir de notre point de vue instinctif de croire que toute intelligence dans la nature doit être de forme humaine : Certains oiseaux dans la famille des corvidés parviennent à résoudre des problèmes complexes non résolus par les grands singes.
Certaines découvertes incroyables donnent à elles seules un intérêt au film, nous plongeant dans les expériences ingénieuses conçues par ces « chercheurs d’intelligence animale ». Nous avons tous déjà vus des vidéos touchantes ou humoristiques d’animaux sur Youtube, et tous nous nous sommes intéressés, de près ou de loin, aux animaux étant petit. Ce film ravive notre curiosité et questionne nos préjugés, tout en nous ouvrant à la méthodologie des personnes qui ont fait de cette passion l’objet de leur travail.
Ainsi voit-on comment se construisent des connaissances scientifiques sur les animaux, en surmontant les difficultés de la recherche, en recréant des milieux où l’interaction de l’homme avec l’animal est soit minimisée, soit prise en compte. Car on n’oubliera pas que l’observateur influe sur le sujet observé, et qu’il est évidemment très difficile de mesurer à quel point l’ingéniosité animale se manifeste dans les milieux naturels, mais aussi qu’il est complexe de remodeler des conditions appropriées pour étudier les oiseaux.
Débat
- Valérie Dufour, chercheuse au Département Ethologie Evolutive Evolution, Cognition et Organisations sociales IPHC CNRS Strasbourg – VD
- Le public – LP
LP – Quel est votre champ d’études ?
VD – Je m’intéresse à la cognition, à l’apprentissage, à l’environnement physique et social.
LP – Parmi les oiseaux capables de se servir d’outils, il y a les rapaces percnoptères d’Égypte. Je les ai vus réaliser des pillages de noyers de façon plus organisés que des agents de la CIA !
VD – Les oiseaux ne font pas qu’utiliser les outils, ils les améliorent parfois.
LP – Utilisez-vous encore le mot « instinct » pour expliquer les comportements des oiseaux dans votre travail, et quel sens donnez-vous à ce mot ?
VD – Je n’utilise plus le mot instinct. On parlerait d’instinct pour tout ce qui est culturel selon moi, un bagage de mécanismes qui se sont automatisés. L’instinct concerne tout ce qui peut apparaître comme automatique. Il exclut tout ce qui est innovation.
LP – Y a-t-il plus de différences entre espèces qu’entre individus ?
VD – Il y a une grande variabilité au sein de la même espèce, parfois un oiseau est seul à réussir un test dans un groupe où tous échouent.
LP – Qu’en est-il de la communication entre les oiseaux ? Dans le film, on pose la question de l’existence d’une grammaire dans leur langue et par une subtile pirouette, on en arrivait à l’expérience dans laquelle les oiseaux étaient capables de reconnaître et d’appliquer une règle.
VD – On s’intéresse toujours aux choses complexes. Mais ce qui est bizarre, c’est que personne n’a publié encore un répertoire de toutes les vocalisations utilisées par une espèce, et voir s’ils pourraient les utiliser comme référentiel.
LP – Vos études ont-elles déjà porté sur plusieurs générations et sur la transmission des caractères acquis ?
VD – Moi je parle d' »apprentissage social », quand le jeune apprend parce que ses parents ont appris avant lui. Il faut savoir que le jeune reste entre 3 à 4 ans auprès de ses parents. Mais il n’y a pas de vraies études, car il est difficile de les faire se reproduire en captivité. C’est la prochaine étape : parvenir à pouvoir étudier les oiseaux dans leur environnement familial, depuis la naissance.
LP – Je me pose des questions sur l’expérience avec les Kéas de Nouvelle-Zélande, dans laquelle ces perroquets collaborent les uns avec les autres pour récupérer de la nourriture (l’un doit se placer sur un balancier pour ouvrir l’accès pendant que les autres se nourrissent ; on observe alors un roulement dans les tâches)
VD – Dans cette expérience, il arrivait parfois qu’un dominant force un dominé, et ce n’est plus de la collaboration, c’est de la coercition. C’est aussi une forme d’intelligence, mais il n’y a pas réciprocité.
LP – Que pensez-vous des modèles d’explications sur l’empathie dans le monde animal ?
VD – Je n’y crois pas du tout. On sait qu’ils peuvent anticiper le comportement des autres, tout au plus. Il n’y a pas cette notion de l’autre, savoir, deviner, espérer. Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais pour l’instant on n’y est pas encore.
LP – Observez-vous une forme de deuil, ou des rites ?
VD – Sur les rites, on n’en sait rien. Pour le deuil, il faut comprendre qu’ils sont très liés et ont une vision sociale du monde. Si vous enlevez un partenaire, il se produit un choc, et évidemment l’oiseau est mal. On obtient un stress. Mais le mot deuil est anthropomorphique et me paraît inapproprié. Je pense qu’il est normal que l’oiseau ne s’y retrouve plus dans son univers, je n’irais pas plus loin.
LP – Y a-t-il domination d’un genre sur l’autre ?
VD – Chez les corbeaux freux, les femelles ne s’approchent jamais dans des situations de compétitions. Elles n’interviennent jamais en phase de compétition … Sauf lorsqu’elles sont en période de gestation, alors elles deviennent les plus agressives et les plus « dominantes ». Chez les corneilles, qui vivent en couple avec un système « familial » pour ainsi dire, les femelles sont très en retrait.
Sommaire
- Civilisation 2.0 à Pariscience
- Le cerveau et ses automatismes – la magie de l’inconscient
- Vivre avec les robots
- Sommes-nous fait pour courir ?
- Gorilles du Congo – Sauvetage à la tronçonneuse
- En quête de vie extraterrestre
- Bird Brain
- Conclusions de notre semaine
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