[Opinion] De l’importance de la culture scientifique

[Opinion] De l’importance de la culture scientifique

[Opinion] De l’importance de la culture scientifique 623 303 Sébastien BAGES

Lorsque un courriel du magazine Conversation est arrivé samedi, le professeur Ken Friedman, spécialiste en science comportementale et dans la théorie des concepts de connaissances, à l’Université Loughborough, a été intrigué et un peu surpris par le message d’introduction du site scientifique et de l’éditeur technologique, Paul Dalgarno. Il a posée l’une des sept mauvaises questions mises en avant par l’Académie australienne des sciences (AAS), selon un récent sondage portant sur la culture scientifique.


Tout d’abord, Paul a demandé s’il devait être inquiet. Puis il a mentionné un article publié sur son site la semaine dernière par Will J. Grant et Merryn McKinnon, qui a conclu que certaines des questions couvertes par le sondage de l’AAS ne sont pas très importantes – dans le contexte de la culture scientifique générale – et que les résultats de l’enquête pourraient ne pas être graves du tout.

Ainsi, le courriel a fait son œuvre. Dans son sens de tournure assez provocant pour capter l’attention du professeur, Paul a conclu avec un commentaire intéressant : « Sois réaliste, Australie ». Cela a permis de mettre en mouvement les pensées de Friedman dont cet article est issu.

Le gros de la question est qu’attendons-nous exactement des connaissances et compréhensions de citoyens dans une démocratie industrielle moderne ?

Avant de tenter de répondre à cette question, deux informations brèves sont à ajouter. Dans leur article, Will et Merryn mettent l’accent sur la notion de faits isolés – ce qu’ils appellent des ‘anecdotes’ – comme ersatz de la culture scientifique, puis ils se demandent si la culture scientifique est un indicateur de civisme.

Ils font valoir que la première notion est problématique, et qu’il n’y a aucune preuve pour la seconde notion. C’est raisonnable dans la mesure où ils souhaitent en venir, mais Friedman dit que c’est aussi trompeur de deux différentes manières :

  • le sondage sur la littérature scientifique est bien plus qu’une collection ‘d’anecdotes’
  • la relation entre la culture scientifique et le civisme n’est pas celle d’une relation indirecte, mais une question complexe et sérieuse que nous devons connaître et comprendre si nous voulons être de sages citoyens. Cela implique un sens de la culture scientifique en ce qui concerne les questions et principes.

 
Il y a une différence entre les principes de compréhension et mémorisation des faits isolés dans une collection d’anecdotes. Pour Friedman, c’est un problème important que certaines personnes ne réalisent pas que les premiers êtres humains et les dinosaures ne vivaient pas à la même époque (Heureusement – ou malheureusement, selon votre point de vue – ‘seulement’ 27% des 1.515 personnes interrogées lors de l’enquête AAS croyaient qu’une telle cohabitation est survenue).

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Le principe ici est plus important que de savoir exactement comment les dinosaures ont vécu ou ce que leurs conditions de vie étaient. Il s’agit d’un gros morceau d’incompréhension sur l’évolution qui se perpétue, et l’influence que nous avons sur l’évolution d’autres espèces (les deux affirmations se rapportent à des questions du sondage).

Peut-être qu’une réponse précise à ces questions ne conduira pas à de meilleures décisions stratégiques ou à des votes plus éclairés pour ceux qui déterminent l’orientation politique. Néanmoins, ce que les citoyens comprenne de l’évolution et des inter-relations entre les espèces peut avoir une incidence sur, par exemple, les moyens mis en avant contre la sur-pêche et la gestion de la zone côtière ou certaines des principales sources alimentaires de la planète en péril.

De la même manière, l’idée qu’une année est, par définition, une révolution de la Terre autour du Soleil (l’enquête AAS a demandé combien de temps cela prenait – 59% des répondants connaissaient la bonne réponse) est beaucoup plus qu’une simple anecdote. C’est l’un des piliers fondamentaux pour comprendre comment le système solaire et, plus largement, l’univers fonctionnent.

 

Soyez réalistes !

Les faits isolés n’ont aucun sens, et une collection de faits aléatoires ne démontre pas la culture scientifique de base requise pour des citoyens actifs dans la société contemporaine. C’est l’une des raisons pour laquelle nous rions du Dr. Sheldon Cooper, le brillant et je-sais-tout Nerd de la série comique télévisée : The Big Bang Theory.

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Malgré son travail en tant que scientifique, l’enthousiasme de Sheldon pour la vraie science, les bandes dessinées et les jeux de rôle semblent être identiques, alors qu’il a tant de peine à gérer des questions qui comptent pour la plupart d’entre nous : conduire, commander de la nourriture, comprendre des émotions. Quand Friedman regarde Sheldon Cooper, il sympathise avec l’argument :

Sois réaliste, Australie

En l’occurrence, cependant, certaines questions scientifiques sont bien réelles. La relation entre l’augmentation de l’acidification des océans et les risques pour la chaîne écologique de l’océan est bien réelle, et sera de plus en plus reconnue comme tel avec la diminution du stock de poissons, qui entraînera une hausse des prix et la réduction de sa disponibilité alimentaire.

Ce sont quelques-uns parmi les nombreux faits apparemment mineurs qui prennent un sens et une signification profonds lorsque l’on sait tisser un réseau de relations entre les facteurs physiques, chimiques, des systèmes environnementaux, technologiques et sociaux qui composent le monde.

Une culture scientifique de base est nécessaire pour que les citoyens puissent comprendre que le monde fonctionne comme un système. Aucun court QCM ne serait susceptible d’en mesurer une véritable compréhension en profondeur. Ce que qui a été souligné par l’enquête australienne est une approximation raisonnable des principes-clés. Ces principes influencent les décisions que nous prenons en tant que citoyens sur les politiques et les enjeux.

Il est aussi vital pour notre succès dans nos activités de nous obliger à comprendre comment les choses fonctionnent et pourquoi.

Une démocratie industrielle avancée (aussi appelée post-industrielle) demande plus de culture scientifique à ses citoyens que ce qui était demandé par les démocraties agraires d’autrefois.

Si nous voulons assurer la prospérité future de l’Australie (et du monde), si nous voulons faire des nations de meilleures endroits où vivre, nous devrions en effet beaucoup nous inquiéter à la maîtrise de la science fondamentale et des principes scientifiques qui amène à l’éclectisme.


Citations : Science Alert, The Conversation, par l’auteur Ken Friedman
Crédit image À-la-Une : Comprendre que le monde fonctionne comme un système est vital. © Rigmarole

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About the author

Sébastien BAGES

Plus de trois années de travail passionné sur Civilisation 2.0 Actus, et fondateur de l'association Civilisation 2.0, je mets à contribution mon expertise de veille technique et scientifique, mon analyse de chef de projet, mon engouement pour la science et ses outils, et mon expérience dans le développement stratégique afin d'offrir à tous ce qui en résulte.

Un commentaire
  • On peut se questionner de plusieurs choses par rapport à des résultats de sondage. Par exemple sur le temps que met la Terre pour effectuer une révolution complète autour du soleil… je ne sais pas hein, mais peut-être que bon nombre de ceux qui ont répondu n’étaient tout simplement pas très concentrés, ou bien ont eu envie de s’amuser à répondre un truc faux. Il faudrait commencer par mesurer le niveau de soumission au sondage de ceux qui y répondent, par exemple. Je ne sais pas… peut-être que ça a été fait.
    Il y a aussi des questions qui me semblent être un peu piégeuses, comme la question sur l’influence de l’homme sur l’évolution d’autres espèces : peut-être aurait-il été plus judicieux, pour éviter les biais idéologiques et politiques (le sondé n’est pas stupide et va prêter une intention au sondeur, il a parfaitement raison, et va donc essayer de manipuler le résultat par rapport à l’évaluation qu’il fait des intentions de chacun), de demander si les moustiques avaient une influence sur l’évolution des hommes (la réponse est oui : toutes les espèces qui sont en contact ont une influence les unes sur les autres, c’est un peu le principe).

    La question de la démocratie est très importante. Mais elle n’est évacuée par aucune homogénéité culturelle d’une population, ni une diffusion d’une cosmogonie commune. Ce qui compte c’est, déjà, les moyens concrets de chaque citoyen de peser sur les décisions qui peuvent avoir des répercutions sur sa vie, les capacités de pouvoir négocier avec les autres, une bonne compréhension des fondements de la démocratie comme l’expression de ses propres motivations et une certaine transparence dans ses propres comportements, viennent ensuite les capacités de diagnostic d’une situation : des compétences ou la reconnaissance des compétences des autres. Ce genre de choses ne peut pas exister avec des hiérarchies autoproclamées et totalement obscures, quand bien même elles se légitimeraient par un système de suffrage largement fabriqué par de grosses machines de communication totalement asymétriques.
    Alors évidemment dans les pays occidentaux il y a de plus en plus de hiérarchies concurrentes, des organisations de personnes compétentes et qui agissent sur la réalité de manière transparente tout en donnant à chacun des moyens de négociation. Mais les sujets les plus importants ne sont pas atteints par cette démocratie émergeante, les pouvoirs qui pèsent le plus sur la réalité sont encore aux mains de hiérarchies peu compétentes et peu transparentes, même si elles sont plus ouvertes que d’autres.

    « qu’attendons-nous exactement des connaissances et compréhensions de citoyens dans une démocratie industrielle moderne ? » C’est une belle question comme ça, pleine d’optimisme sur la situation actuelle, en fait pour l’instant elle ne se pose pas. Les questions sont : comment virer les hiérarchies industrielles qui nous empêchent de dépasser notre modèle industriel ? comment ré-organiser des hiérarchies post-industrielles ? comment mettre en place les conditions d’émergence d’une démocratie cohérente avec cette hétérarchie ?
    A partir de ce moment on y verra plus clair, et notamment que « un personne, un vote » n’a pas grand-chose à voir avec la démocratie… jusqu’à, éventuellement, vider la première question de toute signification.

    « Si nous voulons assurer la prospérité future de l’Australie (et du monde), si nous voulons faire des nations de meilleures endroits où vivre, nous devrions en effet beaucoup nous inquiéter à la maîtrise de la science fondamentale et des principes scientifiques qui amène à l’éclectisme. » Peut-être l’Australie n’a pas vraiment de raison d’exister plus qu’autre chose. Peut-être que les nations ne peuvent pas être les meilleurs endroits ou vivre. Peut-être vivons-nous justement un basculement : de l’époque où la nation pouvait être l’organisation qui pouvait nous être la plus utile, à celle où la nation ne serait plus suffisante, conformément aux exigences démocratiques qui pourraient éventuellement rendre la question de la compétence des citoyens pertinente.
    Pour finir : que la Fin de l’Histoire soit véridique (la nation est insurmontable et doit donc être le meilleur endroit ou vivre = la démocratie on peut pas faire plus), ou que la fin de la Fin de l’Histoire soit actée (la notion de nation s’écroule sur elle-même = la démocratie ça n’a rien avoir avec ce qui est sous-entendu ici) il s’avère que la question posée sur la compétence scientifique des Citoyens n’a pas grand-chose à voir avec la démocratie.

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