« Les sciences face aux créationnismes, Ré-expliciter le contrat méthodologique des chercheurs » de Guillaume Lecointre

« Les sciences face aux créationnismes, Ré-expliciter le contrat méthodologique des chercheurs » de Guillaume Lecointre

« Les sciences face aux créationnismes, Ré-expliciter le contrat méthodologique des chercheurs » de Guillaume Lecointre 250 393 Mathias TECHER

Cet ouvrage de Guillaume Lecointre, paru en 2012 aux éditions Quae, est au départ une initiative de l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) destinée à redéfinir les contours de la démarche scientifique. « Redéfinir » dans le sens de rappeler le coeur méthodologique de celle-ci et plus explicitement son épistémologie. Cette décision fût prise suite à la publication en 2007 de l’ouvrage « L’Atlas de la Création » par un dénommé Harun Yaya (dont le vrai nom est Adnan Oktar), dont le but était clairement la remise en cause de la théorie de Darwin. Cet ouvrage fût envoyé gratuitement à de nombreux lycées et à des laboratoires travaillant sur l’évolution. Ce type d’intrusions, bien que courantes et infondées (connues pour des litiges telle que la falsification de documents, des interprétations abusives, des lacunes importantes dans les critiques du sujet traité, des anachronismes…etc), commencent néanmoins à perturber la perception des sciences par le  grand public et les étudiants. Il fût donc décidé d’approcher le sujet d’une façon nouvelle, non plus dans une confrontation directe, aux résultats stériles, mais dans une approche professionnelle et technique permettant de redéfinir les contours de ce qui définit le cœur des sciences. Le systématicien, chercheur et professeur au Muséum national d’histoire naturelle, Guillaume Lecointre, fût donc contacté en 2008 lors d’un colloque organisé par le ministère de l’Education nationale. Un colloque organisé à l’attention des enseignants de philosophie et de sciences de la vie et de la Terre, dont l’objectif était de réfléchir à la meilleure façon d’aborder la théorie de l’évolution avec les élèves de l’enseignement secondaire.  L’auteur étant connu pour son travail de diffusion des connaissances et de formation des enseignants et élèves du primaire et du secondaire, fût contacté afin de mener à bien cette initiative.

 

L’ouvrage « Les sciences face aux créationnismes, Ré-expliciter le contrat méthodologique des chercheurs », traite donc de différentes thématiques tournant autour des créationnismes d’une part (l’auteur décrypte d’ailleurs les différentes formes de créationnismes et leur historique) et de la science et de son fonctionnement d’autre part (permettant ainsi de retracer les différentes phases qui ont jalonnées l’histoire des sciences jusqu’à aujourd’hui, donnant ainsi lieu à la formulation du contrat méthodologique scientifique actuel). Le fait de traiter le sujet des créationnismes permet de mettre en lumière les différentes stratégies mises en oeuvre dans la déformation de la forme et du fond des sciences. Que ça soit à des fins religieuses, politiques, marchandes (etc.), les mécanismes ici traités permettent de distinguer les différents ressorts qui font la popularité des divers mouvements obscurantistes actuels, dont font partie les différentes formes de créationnismes.

 

Dans un premier temps Guillaume Lecointre nous décrit l’historique de la théorie de l’évolution, et les conflits qu’elle a engendré malgré elle. Vient ensuite l’explication des différents attraits de la science, qui suscitent tant l’intérêt de ses détracteurs. Les créationnismes, bien que défendant une idée commune de providence, se déclinent en différentes formes (qui restent intimement liés malgré leur apparente diversité). Formes que l’auteur nous décrit tour à tour en nous en citant les principaux acteurs, ainsi que les différentes stratégies d’intrusions adoptées par celles-ci.

 

Suite à cet exposé de ces différents courants contestataires de la science et de sa méthodologie, l’ouvrage nous expose les différents moyens employés pour semer le trouble et ainsi rendre les frontières de la science plus poreuses, et donc plus aptes à assimiler des erzats de science. Un trouble emplis de confusions pour la plupart épistémologiques. Il est ainsi courant de voir ce type d’impairs :

– Confusion entre des termes tels que « théorie » et « hypothèse ».

– Confusion entre des discours sur les valeurs et sur les faits.

– Attribution abusive de rôles inadaptés aux sciences, comme celui d’assignateur de destin.

– Confusion entre les approches philosophiques et scientifiques de certaines notions comme le matérialisme. La science étant matérialiste en méthode, ni plus ni moins. La métaphysique étant par nature « hors champ » de celui de la physique. Chose incomprise par bon nombre de ses détracteurs.

Bien d’autres moyens, exposés dans l’ouvrage, sont ainsi mis en oeuvre pour saper le travail cumulateur et progressif des chercheurs.  

 

L’auteur se penche par la suite sur la nécessité de redéfinir le contrat méthodologique inhérent à toutes les professions inscrites dans le champ des sciences. S’appuyant pour cela sur quatre principes clés :

– Le scepticisme initial sur les faits.

– Le réalisme de principe.

– Le matérialisme méthodologique.

– La rationalité.

Permettant ainsi de redéfinir le périmètre des sciences, tant pour la communauté professionnelle de chercheurs et d’enseignants, que pour le grand public qui n’a le plus souvent accès qu’aux résultats, et non aux démarches. L’idée étant de démontrer en quoi les pseudo-sciences et les créationnismes (pris ici pour sujet d’étude), ne remplissent pas les conditions requises pour être pris au sérieux, en tout cas pour ce qui est du champ des sciences. Non pas par négation de leur existence, mais par analyse de leur méthodes et argumentaires.

 

Guillaume Lecointre conclut finalement sur la nécessité de revoir notre approche des sciences, une nécessité croissante au vu des intérêts qui gravitent autour de celles-ci et qui ne nous attendrons pas pour la redéfinir à leur avantage. L’approche laïque de l’auteur ne nous incite pas à dénier les croyances des uns et des autres, mais à concentrer nos efforts sur ce qui nous est commun. Et ainsi conserver un espace où il nous sera possible d’examiner cet héritage commun et universel, pour l’enrichir et l’améliorer de façon constante. Si cet espace disparaît sous couvert d’un respect des différences (pour ne pas heurter les croyances des uns et les idéaux des autres), alors nous tendrons à perdre cette autonomie qui a permis jusque là d’élever l’héritage de tout un chacun, celui des sciences et du cumul des savoirs objectifs qu’elle nous a permis d’appréhender. C’est donc là un ouvrage essentiel pour quiconque cherche à comprendre les enjeux de demain en termes d’appréhension des savoirs, afin que nous ne laissions pas (ou plus) passer ces déformations et attaques constantes qui mettent en danger l’autonomie et la définition même des sciences.

Mathias TECHER

 

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Mathias TECHER

En tant que président de l'ONG Civilisation 2.0, mon intérêt pour la connaissance se veut transdisciplinaire, tout comme l'objet de notre organisation. D'où l'intérêt, pour nous, de vous faire découvrir les lectures qui constituent la charpente de nos connaissances. Je mets donc ici à contribution mes réflexions et mon recul sur les différentes ressources bibliographiques qui constituent la moelle épinière de notre organisation. Une rubrique qui contribuera, à n'en pas douter, à l'essor des pensées et des actions proactives de tout un chacun.

2 commentaires
  • Jean-Luc Martin-Lagardette 3 juillet 2016 à 16h51

    Le matérialisme méthodologique est-il, comme le soutien M. Lecointre, la seule approche scientifique légitime ?

    Réponse argumentée.

    • Bonjour Mr Martin-Lagardette, il est à noter que si vous posez la question il est possible que vous ayez réfléchi a une alternative. Si oui, il serait bon de la développer. Afin de pouvoir entamer un échange plus exhaustif.

      Concernant l’approche de Guillaume Lecointre, elle résulte d’une méthode qui s’est développée au fil de l’Histoire des Sciences et qui s’est maintenue du fait de son efficacité, et de sa capacité à affiner nos prédictions vis à vis des expérimentations que nous pratiquons dans une discipline ou dans une autre. Ni plus, ni moins. Des disciplines qui se sont révélées pouvoir être testées via une méthodologie scientifique. Qui repose sur les critères identifiés par Mr Lecointre dans ce même ouvrage, qui n’est qu’un énoncé des méthodes approuvées par ses pairs de façon indépendante dans le temps et dans l’espace. Le matérialisme méthodologique n’est pas à confondre avec le matérialisme philosophique. La science n’est un outil, pour ce qui est d’une recherche de sens cela est une autre histoire. En effet la science est amorale (et non pas immorale) et matérialiste, que cela relève des sciences dites palétiologiques (ou encore des sciences dites « molles ») ou nomologiques (ou encore des sciences dites « dures ») – cf : conférence de Guillaume Lecointre sur la démarche scientifique : https://www.youtube.com/watch?v=trUflkFzWJo -. Les deux opèrent différemment mais restent inscrites dans ce cadre du fait de l’efficacité que celui-ci garantit.

      Si l’on désire attribuer du « sens » à la science, nous tomberons nécessairement dans un biais téléologique (http://www.cnrtl.fr/definition/t%C3%A9l%C3%A9ologique), qui risque d’obscurcir notre jugement des faits. Dire « Je ne sais pas » dès lors que nous ne disposons pas d’assez d’éléments, là est le cœur de la démarche matérialiste que l’on attribue aux sciences et qui donne lieu à leurs multiples réussites, selon moi.

      En espérant que cette réponse éclairera quelque peu le sujet, je me tiens à votre disposition pour de plus amples développements, dans la mesure du possible et de mes connaissances.

      Codialement,
      TECHER Mathias,
      Vice-président de l’ONG Civilisation 2.0 et rédacteur de cet article.

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