Le scientisme, essai sur la définition d’un concept

Le scientisme, essai sur la définition d’un concept 1225 1177 Mathias TECHER

Le scientisme, essai sur la définition d’un concept

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Organiser scientifiquement l’humanité, tel est donc le dernier mot de la science moderne,
telle est son audacieuse mais légitime prétention.

  – Citation de Ernest Renan, extraite de l’ouvrage « L’Avenir de la science : pensées de 1848 », publié aux éditions Calmann-Levy en 1890 –

Cette image et cette citation sont généralement les idées les plus fréquentes que l’on se fait du terme « scientisme », mais pour bien saisir un tel concept il nous faut contextualiser les conditions d’émergences du terme et sa contemporanéité. Le terme « scientiste » a t’il déjà eu une connotation positive, par le passé, avant de devenir l’équivalent d’une injure ? Quelles sont les positions philosophiques des personnes que l’on dit scientistes ? Peut-on s’entendre finalement sur une définition précise de ce qui relève, ou non, du scientisme à l’heure d’aujourd’hui ? Ce sont là des questions que nous allons explorer ensemble, afin de tenter d’éclairer un débat qui semble avoir pris naissance aux alentours du XIXème siècle… 

Assises historiques d’un terme à la fois loué et décrié…

Dans un premier temps, il est bon de resituer la citation de l’écrivain, philologue, philosophe et historien français, Ernest Renan. Un homme qui aura grandement contribué, entre autres, à l’étude factuelle et historique des religions, notamment lorsqu’il décide de se pencher sur les racines ethnico-géographiques de ces dernières. On peut y voir les prémisses d’une rationalisation progressive du champ des savoirs dans son ensemble. Le XIXème siècle est en effet un bouillon de culture ou les expérimentations semblent ouvrir un champ des possibles nouveau, dans la droite ligne du XVIIIème siècle, connu sous le nom de « siècle des Lumières ». Cette citation est donc extraite d’un ouvrage qui fait l’apologie des sciences et des techniques, à une époque où ces dernières sont en plein essor. Notons par ailleurs, que les écrits et positions d’Ernest Renan ont été fortement influencés par les travaux du philosophe français, et fondateur du positivisme, Auguste Comte. Travaux dont nous avons parlé auparavant dans l’article « L’avenir, un script en perpétuelle réécriture ». 

La pensée d’Auguste Comte arrivant à pleine maturation, trois siècles après l’établissement des premières académies européennes, qui fleurissent vers les années 1530. Le projet de ce dernier est en effet dans la droite ligne de la citation de Mr Renan, et se fonde sur ce que l’on appelle la « loi des trois états », également décrite dans notre article précédent, où une discipline passe généralement, dans sa construction, par les trois étapes théoriques successives suivantes : théologique (ou fictive), métaphysique (ou abstraite) et positif (ou scientifique). Un savoir dénommé comme positif n’étant en rien lié à une quelconque notion de « valeurs », on ne peut ainsi pas lui opposer un état « négatif ». Pour le dire autrement, un savoir dit « positif » est un savoir arrivé à pleine maturation, selon les critères autrefois établis par Auguste Comte. Critères dont nous connaissons les limites, notamment depuis l’avènement, au XXème siècle, de la pensée dite « systémique », courant de pensée qui connaît également ses limites propres. Ainsi contextualisé, le propos d’Ernest Renan fait sens dans une époque où le positivisme semble être l’achèvement de toutes connaissances matures et déterminées. 

Positivisme et scientisme, deux mots pour une même réalité ? Pas si sûr…

Se pose donc une autre question, le positivisme est-il scientiste ? Ce serait une conclusion hâtive qui mériterait qu’on s’y attarde, en nous appuyant notamment sur la vie du fondateur du positivisme. Une analyse qui nous fera énoncer la pensée suivante : 

Le positivisme, s’il n’est pas scientiste, peut néanmoins y mener, du fait même de sa volonté absolue de circonscrire la pensée à un cadre réductionniste. Un cadre utile dans certaines circonstances, mais délétère lorsque l’on ferme les yeux sur ses échecs à expliquer le monde. Le positivisme deviendrait donc scientiste dès lors qu’il se concentrerait davantage sur la sauvegarde de son cadre plutôt que sur l’efficacité dudit cadre à expliquer le monde.

Pour appuyer cette pensée nous allons donc étudier, brièvement, les apports de la pensée d’Auguste Comte dans les sciences contemporaines, ainsi que ses limites. Ce faisant nous dévoilerons ce qui, selon nous, pourrait s’apparenter à un point de bascule dans la pensée du philosophe français. Un point de bascule qui le fera passer d’une pensée positiviste méthodique à une pensée scientiste autoréférente, à volonté hégémonique. 

 

Il est à noter que le positivisme comtien s’inscrit dans une époque troublée, l’auteur connaîtra en effet la succession de six régimes politiques au cours de sa vie, de sa naissance en date du 19 janvier 1798, à sa mort en date du 5 septembre 1857. Le cadre n’étant pas neutre, sa pensée ne l’est donc pas non plus – notamment si l’on suit les recommandations de la philosophie dites relativiste -, l’idée est clairement d’énoncer un nouveau modèle de réorganisation sociale, axé sur les méthodes du positivisme. Le positivisme est donc à étudier sous deux angles bien distincts, le premier se bornant à voir la science comme un « moyen » de générer un nouvel ordre social, moral et politique, le second comme une « nécessité » d’imposer la science comme une réponse à l’ensemble des questions sociétales, position que défendra Auguste Comte vers la fin de sa vie. 

On peut donc voir que le premier angle est celui qui prévaut aujourd’hui, avec l’établissement d’organismes de consultation tels que l’Inserm ou l’OMS (pour les questions relatives à la santé, au niveau national et international) ou encore la FDA (pour les questions relatives à l’administration américaine des médicaments et des denrées alimentaires). Et ce ne sont là que quelques exemples de l’établissement de collectifs de recherches, destinés à éclaircir nos décisions, via l’établissement de consensus. 

Des consensus se refusant, par essence, à prescrire un quelconque modèle de manière arbitraire et sans appel. La science n’est donc pas aujourd’hui « prescriptive » mais « consultative », car consciente des limites de son propre modèle décisionnel. Où peut-on donc situer ce fameux point de bascule de la pensée comtienne ? Les spécialistes s’accordent sur l’avènement d’un positivisme religieux entre 1846 et 1857, soit jusqu’à la mort d’Auguste Comte. 

Bascule qui prendrait son point de départ dans la mort de Clotilde de Vaux, le 5 avril 1846, une fervente catholique dont Auguste Comte tombe éperdument amoureux en 1844, sentiment que ne lui rendra jamais Mme de Vaux malgré leurs nombreux échanges épistolaires. La bascule est surtout dans la forme que revêt le positivisme de l’auteur à partir de cette période, l’intellectuel voyant dans les cérémonies et rituels religieux une façon de fédérer le genre humain autour de la thèse positiviste.

Il s’ensuit le développement d’une forme de « religion naturelle », dont Auguste Comte serait le « grand prêtre », qui s’éloigne grandement du seul cadre consultatif de la recherche. A partir de ce moment plusieurs points détaillent une prise de position clairement prescriptive du positivisme, il n’y a qu’à s’attarder sur les principes des septs sacrements positivistes, ou encore sur la mise en place d’un calendrier liturgique propre aux idéaux et au fétichisme d’Auguste Comte (notamment son obsession pour Clotilde de Vaux et sa « supériorité morale » (sic)). En résulte donc un dogme, destiné à régenter par l’arbitraire, soit le respect de la pensée positiviste  « pure », le quotidien de ceux et celles qui y adhèrent. Ce dogme a cependant pour particularité d’avoir une assise historique sur un courant de pensée qui dispose d’outils pertinents, le positivisme ayant participé à la naissance de la sociologie et à bon nombre d’outils théoriques des sciences modernes, tout en sombrant dans une dérive scientifico-religieuse peu efficiente pour élaborer un modèle civilisationnel réellement opérant. Le scientisme pourrait donc être apparenté à ce positivisme religieux né en 1846, c’est du moins là notre hypothèse. La pensée d’Ernest Renan rejoignant assez celle d’Auguste Comte sur la fin de sa vie, l’influence que ce dernier a pu avoir sur les pensées renaniennes, taxées par beaucoup de « scientistes », est donc palpable. 

Le « positivisme religieux » Comtien, une expression du « scientisme contemporain » ?

Après avoir posé notre hypothèse, nous pouvons résumer la situation de la façon suivante : 

Le scientisme consiste en une volonté de prescription absolue sur tous les aspects de la vie des individus. Cette volonté, au départ prégnante dans des idéologies telles que le positivisme religieux de la fin de vie d’Auguste Comte, s’est peu à peu écartée au profit d’une posture consultative. La science éclaire donc aujourd’hui nos choix, mais n’a pas pour volonté de trancher dans des domaines ou lesdits choix relèveraient avant tout d’une décision collective et citoyenne. Notamment dans les domaines moraux et artistiques, qui comportent une part non négligeable de subjectivité, et qui sont sources de débats. Des débats que la science peut éclairer sous certains aspects, mais où elle ne suffit pas à elle seule pour délibérer. Ainsi, on peut estimer que le scientisme relève d’une certaine forme de réductionnisme radical du champ d’action des réflexions humaines.

Les choses étant ainsi posées, on peut donc voir le vœu pieux du scientiste comme une déresponsabilisation des individus face à la complexité du réel. L’histoire des idées est en effet pleine de théories qui veulent répondre à l’ensemble des interrogations, et ce via le recours au moins d’entités possibles. Il est par ailleurs assez curieux de constater qu’actuellement c’est dans le champ des pseudo-sciences que l’on retrouve le plus souvent cette volonté d’une explication globale, il n’y a qu’à constater la ribambelle de « théories unifiées » qui fleurissent ici et … Des théories qui ne sont pas à confondre avec les travaux conduit actuellement sur la théorie dite de « grande unification », en physique théorique, une théorie qui est élaborée avec bien plus d’humilité que les théories issues du champ de l’ésotérisme et de l’alterscience. Il est d’ailleurs bon de rappeler que cette appétence pour une explication à tout se retrouve dans ce que le philosophe français des sciences, Gaston Bachelard, appelait l’esprit « préscientifique ». Un état d’esprit qui prévaut, selon lui, jusqu’au XVIIIème siècle, avec cet intérêt débordant pour les sciences dites expérimentales. Une époque où la moindre découverte se retrouve généralisée à outrance, l’histoire de l’électricité, décrite dans son ouvrage « La formation de l’esprit scientifique », est assez éclairante à ce sujet. Attardons nous, ci-dessous, sur un exemple de la séduction qu’ont pu occasionner les généralisations abusives, et trop hâtives, dans le domaine électrique :

Le besoin de généraliser à l’extrême, par un seul concept parfois, pousse à des idées synthétiques qui ne sont pas près de perdre leur pouvoir de séduction. Néanmoins, de nos jours, une certaine prudence retient l’esprit scientifique. Il n’y a plus guère que des philosophes pour chercher, sinon la pierre philosophale, du moins l’idée philosophale qui expliquerait le monde. Pour l’esprit préscientifique, la séduction de l’unité d’explication par un seul caractère est toute-puissante. Donnons des exemples. En 1786, paraît le livre du Comte de Tressan, livre, à vrai dire, écrit en 1747. Ce livre prétend expliquer tous les phénomènes de l’Univers par l’action du fluide électrique. En particulier, pour Tressan, la loi de gravitation est une loi d’équilibre électrique. Mieux, tout équilibre est d’essence électrique. La propriété essentielle du fluide électrique, à laquelle les deux gros tomes se réfèrent sans cesse, « c’est de rendre toujours à l’équilibre avec lui-même ». Dès lors, où il y a équilibre, il y a présence électrique. C’est là le seul théorème, d’une déconcertante inanité, d’où l’on tirera les conclusions les plus invraisemblables. Puisque la Terre tourne autour du Soleil sans s’en rapprocher, c’est qu’il y a équilibre entre l’électricité des deux astres. D’une manière plus précise, les végétaux marqueront l’équilibre de l’électricité qui irradie le sol et de l’électricité des rayons solaires : « Tous les corps possibles qui touchent à la terre, ainsi que ceux qui y sont implantés, sont autant de conducteurs qui reçoivent et qui transmettent l’Électricité terrestre en rapport de la force jaillissante qu’elle peut avoir alors, selon l’obliquité ou la verticalité des rayons solaires.

– Extrait de l’ouvrage « La formation de l’esprit scientifique », de Gaston Bachelard, ed. Vrin, 1938 –

Au regard des exemples cités ci-dessus, et de l’évolution des pratiques dans les domaines de la recherche, le scientisme semble donc s’être marginalisé, pour peu à peu quitter le monde des sciences dites « académiques », au profit de celui des chercheurs dits « indépendants » (sic). Des chercheurs qui se coupent de l’ensemble des critiques de leurs pairs. Des chercheurs qui élaborent leurs propres théories et hypothèses dans leur coin, le tout en se confrontant aux mêmes obstacles épistémologiques que leur prédécesseurs du XVIIIème siècle… Tous ces éléments nous amènent donc à déceler dans le scientisme contemporain des idées issues de l’influence du positivisme religieux de feu Auguste Comte. Ceci étant dit, comment nous prémunir de telles dérives et comment savoir si nous n’adoptons pas nous même une posture scientiste ? Pour y répondre, nous vous proposons de faire un détour du côté de la philosophie des sciences, et notamment du côté des différentes écoles philosophiques qui la composent. 

La philosophie des sciences, un arbre philosophique aux ramifications multiples, dont le scientisme n’occupe que peu de branches…

Avant d’aborder le sujet des différentes écoles issues de la philosophie des sciences, nous tenons à indiquer que notre analyse s’inspire grandement d’une réflexion de l’essayiste, sociologue et épistémologue français, Valéry Rasplus. Une réflexion que l’on retrouve au sein de l’ouvrage collectif « Sciences et pseudo-sciences. Regards des sciences humaines », publié aux Editions Matériologiques, en 2014. Valéry Rasplus nous y invite à envisager nos façons de concevoir le monde selon deux grands modèles : celui où l’individuel primera sur le monde extérieur (i vs e) et celui où le monde extérieur primera sur l’individuel (e vs i). Au regard de cette proposition on peut donc envisager certaines des principales écoles philosophiques, issues du monde de la philosophie des sciences, de la manière suivante :

  • L’empirisme (e vs i) : l’objet, l’observation et l’expérience priment sur le sujet pensant. Les idées et la connaissance proviennent de l’observation du monde extérieur, mais aussi de la pratique du sujet. Ce mode de pensée part du concret et se dirige vers l’abstrait. C’est un mode de pensée inductif ou synthétique. 
  • Le matérialisme (e vs i) : le sujet pensant dérive de l’objet qui l’influence. Cette matière première, qui représente tout ce qui est réel dans ce monde, engendre la pensée.
  • Le réalisme (e vs i) : l’objet existe bel et bien en soi, en dehors du sujet et de son discours. Ce sont deux entités, l’objet et le sujet, qui appartiennent au même monde. Cet objet, qui détermine la science, est donc connaissable (objectivement) pour le sujet.
  • L’objectivisme (e vs i) : les objets et les faits existent indépendamment des individus (impersonnels).
  • L’inductivisme (e vs i) : l’expérience et l’observation sont premières. Ce sont elles qui délivrent la connaissance.
  • Le relativisme (i vs e) : l’interprétation des faits et des théories est dépendante et évaluée en fonction du sujet, du contexte (social, politique, économique, idéologique, etc.), du groupe, des conditions de leur production. Elle est donc déterminée, particulière, locale, subjective, atemporelle, anhistorique, socialisée, arbitraire, conventionnelle, quand elle n’est pas métaphysique (métascientifique).
  • L’instrumentalisme (i vs e) : les théories ne sont que des instruments utilisés par l’individu qui tente de décrire une réalité difficilement accessible.

Cette base étant posée, on peut essayer de voir en quoi le scientisme, inspiré du positivisme religieux comtien, peut, ou non, cocher ici des cases. Au vu de ce que nous avons dit précédemment, on peut déjà estimer que le scientisme rejette l’idée de « l’instrumentalisme », du moins telle qu’elle est énoncée ici. En effet, pour le scientiste la réalité n’est pas difficilement accessible, puisque la science serait, selon lui, un moyen infaillible d’y parvenir. L’humilité nécessaire à l’adoption d’une telle posture semble donc être absente dans les idées que l’on pourrait qualifier de scientistes.

Qu’en est-il du « relativisme » ? Là encore on peut conclure que le scientisme ne s’y réfère pas, étant donné que la réalité est ici considérée, du moins en partie, comme relative aux états d’âmes des individus qui pratiquent la science. Le scientiste ne peut y souscrire, puisque selon lui quand un savoir est arrivé à son stade « positif », c’est-à-dire à pleine maturité, il n’est aucunement question d’une interprétation autre des faits. Un savoir validé par le scientiste est absolu et sans appel, il ne cherche plus à confirmer ledit savoir, mais à convaincre autrui d’y adhérer.

On peut également estimer que le scientisme ne coche pas intégralement la case « empiriste », puisqu’on a pu voir précédemment que le scientiste semble adopter une position défiante vis à vis de l’interprétation que les scientifiques peuvent se faire de la réalité objective qu’ils étudient, la science ayant réponse à tout il n’est plus besoin d’interpréter (sic). En effet on peut voir que les personnes adoptant une telle posture semble tenir en haute estime l’idée qu’il faille à tout prix observer la nature de façon neutre et objective, ce qui n’est là que le début de la démarche empirique. La démarche empirique impliquant un va et vient psychologique entre les raisonnements dits inductifs et déductifs, le premier étant une suite de démarches qui s’appuient sur une suite d’observations singulières (contingentes, accidentelles, relatives), des observations qui nous amènent, par la suite, à élaborer des généralisations (universelles, nécessaires, essentielles). De ces généralisations s’ensuivent l’énonciation d’hypothèses, de lois, de théories ou de principes, qui seront eux-mêmes confrontés à la réalité, afin de voir si les modèles théoriques adoptés rendent, ou non, bien compte du réel. Cet ensemble de procédés constitue les bases de ce que l’on appelle les raisonnements « hypothético-déductifs », s’ensuit alors l’usage du raisonnement dit déductif. Un raisonnement qui s’appuie sur un mode de pensée rationnel, qui part des généralisations établies par le mode de pensée hypothético-déductif, afin d’établir des prévisions qui valident, ou invalident, les résultats attendus. On peut donc conclure ici que l’empirisme vu par le scientisme est très limité, il ne rend donc pas entièrement compte de l’étendue des outils qui émergent d’un mode de pensée empiriste.

Le reste des écoles philosophiques semblent par contre être intégralement adoptées par le scientisme. On peut en effet estimer, sans risque de nous tromper, qu’un scientiste peut se reconnaître dans les écoles philosophiques du « matérialisme », du « réalisme », de « l’objectivisme » et de « l’inductivisme » (du moins en partie pour cette dernière). Voilà donc une analyse qui nous permet de mieux situer philosophiquement le scientisme. 

Le scientisme semble donc piocher de façon éparse dans ce qui l’arrange, ou non, au sein des différentes branches philosophiques qui constituent la philosophie des sciences. On peut y déceler une forme de « cherry picking », où le scientiste évitera les postures philosophiques qui mettront à mal ses conclusions et ses méthodes. A contrario, les sciences telles qu’elles sont pratiquées actuellement peuvent difficilement être confondues avec les positions scientistes sur ce point. Il est en effet préférable, aujourd’hui, d’adopter l’ensemble des postures décrites plus haut, afin d’aiguiser au mieux nos outils conceptuels, pour mieux rendre compte du réel. C’est pourquoi, lorsque l’on étudie l’histoire des sciences, on peut y croiser l’ensemble de ces écoles de pensée, qui se croisent et s’entrecroisent à de multiples reprises, au gré des mutations des contextes sociaux et historiques, et de l’évolution des techniques. 

Une posture généraliste qu’endosse l’ONG Civilisation 2.0 via sa charte éthique et philosophique, et qui gagnerait, selon nous, à être largement plébiscitée. Cette analyse de la posture philosophique du scientisme nous permet par ailleurs de confirmer l’idée selon laquelle le scientisme relèverait d’une certaine forme de réductionnisme radical du champ d’action des réflexions humaines. Cette façon d’envisager la question pourrait contribuer, du moins nous l’espérons, à une clarification d’un terme aujourd’hui « fourre-tout » qui, lorsqu’on l’utilise, ne rend pas toujours réellement compte de la réalité de la position de ceux et celles que l’on qualifient ainsi. De cette façon nous pourrons, à la lumière de cette tentative de définition dudit scientisme, comprendre plus en avant les débats contemporains autour de ce mot célèbre et controversé. 

En définitive, nous pouvons voir que lorsqu’un raisonnement se veut rationnel et opérant, il ne peut se contenter de ce qui va dans son sens. C’est pourquoi nous pouvons affirmer que le scientiste ne fait plus de science au moment même où il oublie que cette dernière n’est pas un marché aux puces, où l’on choisit d’adopter, ou non, au gré de ses envies et/ou idéologies, tels ou tels de ses résultats et conclusions. La science et la démarche scientifique sont le résultat d’une longue histoire, de multiples confrontations de représentations du monde diverses et variées, de méthodes hétéroclites et de philosophies plus ou moins aptes à cohabiter dans l’esprit du scientifique, ou de la personne qui s’intéresse, de près ou de loin, au monde des sciences. 

La science est donc un tout, qui ne peut être morcelé pour des raisons idéologiques et/ou subjectives. L’étude du scientisme nous aura permis de mettre cela en lumière et de répondre, du moins en partie, à certaines des interrogations les plus courantes que l’on formule à son sujet. On sait en effet que le scientisme est né dans une époque où les sciences et les techniques étaient glorifiées, au point où le terme n’était pas nécessairement considéré comme péjoratif, mais plutôt comme descriptif d’un courant de pensée qui avait autrefois le vent en poupe, pour les raisons explicitées plus haut. On sait également déterminer, avec plus ou moins de précisions, les positions philosophiques adoptées par les personnes que l’on peut qualifier, à raison, de scientistes. Des positions qui résultent d’une histoire que l’on peut remontée et analysée dans le détail, comme on a pu le voir avec l’étude du cas d’Auguste Comte, et l’influence de sa pensée dans la conception du scientisme contemporain. De plus, malgré l’aspect protéiforme que peuvent revêtir les idées scientistes d’hier et d’aujourd’hui, nous avons pu constater la présence de quelques marqueurs et invariants significatifs. Des marqueurs et invariants qui délimitent quelque peu la limite que l’on peut légitimement établir entre un raisonnement scientifique et scientiste. Des invariants et des marqueurs qui permettent de nous entendre, du moins nous l’espérons, sur une définition plus précise de ce que nous pouvons, ou non, qualifier de scientiste. 

C’est donc ici que se conclut notre essai sur la définition du concept de scientisme, mais en quoi était-ce important de nous y pencher ? 

A l’heure où les visions prospectivistes pessimistes prospèrent dans la pensée et l’imaginaire du grand public, nous nous sommes rendus compte que, dès lors que l’on s’essaie à proposer une ou des vision(s) scientifique(s) optimiste(s) de l’avenir, la menace d’une mise au pilori n’est jamais loin. Une mise au pilori qui prend assez facilement la forme d’une utilisation injurieuse du terme « scientiste ».

Nous espérons, par la rédaction de ce billet de réflexion, ouvrir la porte à des échanges constructifs et pertinents sur le thème, selon nous majeur, de la prospective. La prospective étant, ne l’oublions pas, une forme de science de « l’homme à venir », une démarche rationnelle d’élaboration des scénarios futuristes, possibles ou impossibles, de l’avenir du genre humain. Une démarche qui constitue, selon nous, le cœur même de la pensée proactive ! 

Demain ne sera pas comme hier. Il sera nouveau et il dépendra de nous. Il est moins à découvrir qu’à inventer.

– Extrait de l’ouvrage « Phénoménologie du temps et de la prospective », de Gaston Berger, ed. Presses Universitaires de France (PUF), 1938 –

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Mathias TECHER

En tant que président de l'ONG Civilisation 2.0, mon intérêt pour la connaissance se veut transdisciplinaire, tout comme l'objet de notre organisation. D'où l'intérêt, pour nous, de vous faire découvrir les lectures qui constituent la charpente de nos connaissances. Je mets donc ici à contribution mes réflexions et mon recul sur les différentes ressources bibliographiques qui constituent la moelle épinière de notre organisation. Une rubrique qui contribuera, à n'en pas douter, à l'essor des pensées et des actions proactives de tout un chacun.

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