L’ouvrage « Le Livre Noir de la psychanalyse », est un projet lancé initialement par l’éditrice Catherine Meyer de chez Robert Flammarion et Odile Jacob, et appuyé principalement par quatre autres auteurs de renom dans leur profession. Mikkel Borch Jacobsen, philosophe et historien de la psychanalyse, Jean Cottraux, psychiatre, chercheur et enseignant, Didier Pleux, clinicien s’étant frotté aux délinquants avant de s’intéresser à l’éducation des enfants, Jacques Van Rillaer, ancien psychanalyste, érudit passionné et critique de l’œuvre de Freud, se sont ainsi associés à Catherine Meyer afin de rédiger cet ouvrage critique, véritable exercice de déconstruction d’une idéologie contemporaine. Plusieurs autres professionnels et patients ont également contribué à la rédaction de cet ouvrage, que ce soit des spécialistes des thérapies cognitivo-comportementales ( qui ne constituent qu’un quart des auteurs ayant contribué à la rédaction du « Livre Noir de la psychanalyse » ), des historiens, des philosophes, des ethnopsychiatres, des neurologues, et également un psychanalyste encore en fonction, désireux de revoir certains biais manifestes de l’histoire de la psychanalyse. Ce sont donc quarante auteurs de nationalités et de spécialités différentes qui se sont ainsi réunis pour rédiger cette critique de l’histoire de la pensée et de la pratique freudienne, et de la non-scientificité des pratiques psychanalytiques au sens large.
L’idée même du « Livre Noir de la psychanalyse » est née d’un constat de plus en plus criant, celui de l’hégémonie d’une pratique ne répondant pas aux critères sanitaires et sociaux auxquels elle doit répondre vis à vis de ses patients, du corps médical et de la société au sens large (englobant ainsi les simples lecteurs des écrits psychanalytiques, les universitaires, les médias, les parents…etc) . Ce constat expose également un paradoxe qui est le suivant, celui de la baisse d’influence psychanalytique à l’international et du renforcement de l’influence de celle-ci dans deux de ses derniers bastions que sont la France et l’Argentine. L’ouvrage présenté ici est sorti en septembre 2005, suite à la censure du rapport de l’INSERM sur l’évaluation des psychothérapies le 05 Février 2005 par le ministre de la santé Philippe Douste-Blazy, le tout sous la pression de l’école de la Cause Freudienne et de son chef de file Jacques Alain-Miller, gendre de Lacan. Il est à noter que ce travail fût commandé par la Direction Générale de la Santé et sollicité par les deux grandes associations des représentants des usagers en santé mentale en France, à savoir la FNAP PSY ( Fédération Nationale des Associations d(ex) Patients en PSYchiatrie ) et l’UNAFAM ( Union Nationale des Associations de Familles de Malades psychiques ). Travail dont les conclusions avait été approuvées un an auparavant par la direction générale de la Santé, le ministre balayait donc d’un revers de main les travaux de l’INSERM réalisé aux frais du contribuable… sous prétexte que la santé psychique n’était « ni évaluable ni mesurable », ce qui pose des questions sérieuses sur la scientificité de l’approche de la psychologie en France. Ce rapport et les conclusions de l’ouvrage font également écho à des études antérieures, notamment le rapport du Département de Santé Britannique publié en février 2001, et celui de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) publié en 1993. Toutes ces raisons ont donc contribué aux réflexions légitimes énoncées dans cet ouvrage. Mais quelles critiques y sont formulées ?
Le « Livre Noir de la psychanalyse » découpe son propos en quatre parties, revenant chacune sur des éléments de l’histoire psychanalytique, tant sur le plan historique et factuel, que médical. Il est à noter que Sigmund Freud n’est pas le seul à subir des critiques, car c’est bien l’ensemble du corpus psychanalytique qui est ici analysé en détail afin d’en dégager les éléments pertinents ou non. Plusieurs autres auteurs sont ainsi étudiés, que ça soit Jacques Lacan, Bruno Betelheim, Mélanie Klein, René Spitz, Françoise Dolto, ainsi que bien d’autres références de la psychanalyse en France et à l’international.
La première partie de l’ouvrage concentre son propos sur le père fondateur, à savoir Sigmund Freud, et s’intitule « La face cachée de l’histoire freudienne ». Il faut un début à tout, la critique de la psychanalyse s’ouvre donc sur l’histoire de la naissance de la psychanalyse et des mythes encore propagés aujourd’hui autour de l’éclosion de cette pratique vers la fin du 19ème siècle. Il y est fait mention des premiers mensonges de la psychanalyse, à savoir le cas d’Anna O ( dont le vrai nom est Bertha Pappenheim ), patiente que le médecin et physiologiste autrichien Joseph Breuer et Sigmund Freud avaient pris comme exemple pour la rédaction de leur ouvrage les « Études sur l’hystérie ». Plusieurs autres fausses guérisons sont ainsi passées au crible, notamment du fait de l’étude des correspondances de Freud, aujourd’hui en partie déclassifiées. Cette première partie s’attarde également sur l’attrait du père fondateur pour des travaux de cryptobiologie et de pseudosciences, attrait que l’on trouve confirmé par l’analyse de la relation épistolaire entre Freud et le médecin oto-rhino-laryngologiste Wilhelm Fliess, auteurs de nombreuses théories aujourd’hui réfutées ( notamment celles concernant l’existence d’un « cycle masculin » ). Des théories qui ont par la suite clairement influencé les travaux du père de la psychanalyse, notamment en ce qui concerne ses réflexions sur la sexualité infantile. Loin de s’arrêter là, bon nombre des réflexions psychanalytiques puisent leur origine dans des hypothèses scientifiques datant du XIXème siècle, aujourd’hui clairement réfutées par des avancées telles que la redécouverte de la loi de Mendel en génétique, l’abandon de la théorie Lamarckienne par la biologie évolutionniste, ou encore le rejet des diverses hypothèses physiologiques de Helmholtz ayant clairement influencé l’approche psychanalytique vis à vis de l’hystérie et de la formation des symptômes névrotiques… Cette partie se clôture sur le rapport de Freud à l’argent et l’éthique discutable de celui-ci vis à vis de la considération de ses patients, éthique discutable dont on peut retracer les différentes manifestations au fil de sa carrière et de sa vie, ainsi que via l’étude de son rapport à la gloire et à la postérité.
La seconde partie de l’ouvrage, intitulée « Pourquoi la psychanalyse a t-elle eu un tel succès ? », s’attache à expliquer le pourquoi de l’essor de la psychanalyse, en s’arrêtant sur le contexte de popularisation de celle-ci auprès du grand public et sur la perméabilité de sa formulation. Une perméabilité faisant de la théorie psychanalytique une théorie fourre-tout, à même de satisfaire quiconque cherche des réponses. Cette approche explique d’ailleurs le manque de cohérence entre les diverses théories des multiples figures de proue de la pensée psychanalytique, chose que l’on remarque dès lors que l’on s’arrête sur les contradictions présentes entre les théories de Freud, de Rank, de Ferenczi, de Jung, de Reich, de Mélanie Klein, de Karen Horney, d’Imre Hermann, de Winnicott, de Bion, de Bowlby, de Kohut, de Lacan, etc. Vient ensuite l’analyse des différents mécanismes à l’oeuvre dans le pouvoir de séduction de la psychanalyse. L’ex-psychanalyste Jacques Van Rillaer ( ayant été membre pendant plus de dix ans de l’Ecole belge de psychanalyse ), aujourd’hui éminent professeur de psychologie à l’Université de Louvain-la-Neuve en Belgique, s’emploie à déstructurer la psychanalyse au niveau de son mécanisme d’auto-renforcement, permettant à cette pensée de s’auto-satisfaire en permanence.. Cette partie est également l’occasion de revenir sur l’exception française en termes de psychanalyse, notamment avec les événements de mai 1968 qui ont permis à cette pratique de surfer sur les vagues contestataires, afin de s’implanter dans la psyché populaire. Le psychiatre des hôpitaux Jean Cottraux, chargé de la direction de l’ « Unité de traitement de l’anxiété » au CHU de Lyon et créateur du premier diplôme de Thérapies Cognitivo-Comportementale ( TCC ) à l’Université de Lyon-1, témoigne de l’intrusion de la psychanalyse dans le domaine de la psychiatrie en France entre la fin des années soixante et le début des années soixante-dix. Il mentionne également l’influence de personnalités tels que Jacques Lacan, Françoise Dolto ou encore Bruno Bettelheim, que personne ne contredisait à l’époque malgré le manque méthodologique des ces individus lors de leurs allocutions. La psychanalyse a su ainsi se faire une place, tant au niveau populaire qu’au niveau de l’intelligentsia française de l’époque, démontrant ainsi la possibilité pour un discours creux de séduire par la forme au détriment du fond, et ce quelque soit la catégorie socioprofessionnelle ou le niveau d’études des auditeurs.
La troisième partie, intitulée « La Psychanalyse face à ses impasses », s’applique quant à elle à établir une analyse épistémologique de la psychanalyse. Plusieurs auteurs s’attachent ainsi à poser les questions suivantes :
– La psychanalyse est-elle une science ?
– La psychanalyse est-elle une psychothérapie ?
– La psychanalyse est-elle un instrument de connaissance de soi ?
Suite à l’énoncé de ces questions et à l’analyse des arguments et faits étayant la difficulté à formuler des réponses positives à ces questionnements par de multiples auteurs (dont le philosophe des sciences Franck Cioffi et le professeur émérite de l’Université de Berkeley et grand essayiste littéraire Frederick Crews), Jacques Van Rillaer s’évertue à démonter les mécanismes de défense des freudiens, qu’il connaît particulièrement pour avoir pratiqué la méthode freudienne pendant de nombreuses années. Cette analyse des mécanismes de défense freudien est développé plus en détail dans l’ouvrage « Les Illusions de la psychanalyse » du même auteur. Cette partie permet ainsi de comprendre plus en détail l’imperméabilité de la psychanalyse à toute critique.
La quatrième et dernière partie de l’ouvrage, intitulée « Les victimes de la psychanalyse », nous met face à la question suivante, quelles ont été les conséquences de cette méconnaissance des insuffisances de la théorie psychanalytique ? Plusieurs victimes du traitement psychanalytique sont ainsi recensées via des études de cas historiques méconnues ou tout simplement niées par les psychanalystes eux-mêmes, malgré l’abondance de faits allant en ce sens. Cette partie se penche ainsi sur le cas d’Horace Frink, ancien Président de la société psychanalytique de New York, une affaire ayant occasionné pas moins de deux suicides et deux morts prématurées, dont la destruction de deux familles… Au-delà des cas isolés tels que celui-ci, plusieurs drames sanitaires sont également imputables au maintien de la psychanalyse comme outil médical. Le cas de l’autisme est ainsi l’une des raisons ayant amené des associations telles que la FNAP PSY ou l’UNAFAM à demander des comptes à la société psychanalytique vis à vis de ses pratiques. Cette partie analyse ainsi le cas de l’imposture de Bruno Bettelheim sous la plume du journaliste d’investigation Richard Pollak, auteur de l’ouvrage « Bruno Bettelheim ou la fabrication d’un mythe », dont le frère Stephen Pollak, sans doute autiste, sera suivi par Bettelheim avant de se suicider… On y apprend aussi, sous la plume du psychiatre et directeur de la fondation Phénix à Genève Jean Jacques-Déglon, l’impact de la psychanalyse sur un drame sanitaire méconnu concernant les toxicomanes. Ce psychiatre, s’étant battu durant plusieurs années contre le blocus psychanalytique, permit le sauvetage de milliers de vies par l’apport d’un traitement à base de méthadone aux toxicomanes. Ce blocus d’une vingtaine d’années occasionna tout de même la mort de plusieurs milliers de patients, du fait de l’aveuglement d’une idéologie confiante en ses propres dogmes. Pour conclure cette partie présentant la psychanalyse comme une pratique lourde de conséquences, Violaine Guéritault, docteur en psychologie formée à l’Université d’Atlanta ( aux Etats-Unis ), et Didier Pleux, docteur en psychologie du développement et psychologue clinicien ( formé aux thérapies cognitives par le célèbre psychologue américain Albert Ellis ), reviennent sur les influences néfastes de cette idéologie dans l’éducation et les rapports familiaux. Il y est ainsi fait état de la considération psychanalytique des mères et des enfants, donnant lieu à des visions très stéréotypées et restrictives, mais aussi de l’intrusion manifeste des théories psychanalytiques dans les médias, à l’école, dans les foyers, ainsi que dans le milieu professionnel de la pédiatrie et de la psychiatrie.
Cet ouvrage de l’éditrice Catherine Meyer, « Le Livre Noir de la psychanalyse », se présente donc à la fois comme un outil critique mais également éducatif, permettant la prise de recul indispensable vis à vis d’une pratique communément admise pour vraie malgré son manque manifeste de données objectives pour appuyer la plupart de ses postulats. Celui-ci nous démontre à quel point une idéologie peut-être séduisante et emporter l’adhésion sous prétexte d’une forme attrayante, au détriment d’un fond rationnel et objectif. Ce qui nous rappelle que la démarche scientifique, constituée d’obligations, implique une notion particulièrement importante : celle de la remise en question. Dès lors que cette remise en question s’appuie sur des données objectives et indépendantes, il est important de prendre en compte le consensus nouvellement admis, afin d’avancer plus en avant dans notre objectivation progressive du réel. Une force de proposition pertinente se forge donc continuellement, avec rigueur et vigilance, ce n’est pas une méthode toujours agréable ni aisée, mais c’est la meilleure dont nous disposions à l’heure actuelle pour nous positionner de manière rationnelle face au réel et nous-mêmes.
Mathias TECHER
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