[Interview] Mars One, à la rencontre d’une réalité eutopique (2/3)

[Interview] Mars One, à la rencontre d’une réalité eutopique (2/3)

[Interview] Mars One, à la rencontre d’une réalité eutopique (2/3) 623 260 Sébastien BAGES

Ceci est le seconde partie de l’interview de Florence Porcel. Si vous souhaitez revenir à la première page, cliquez ici.


Se préparer intellectuellement face aux questions et aux objectifs futurs est une étape essentielle.

 

Préparation

Pourquoi partir ? (Floriane) Pourquoi avoir fait ce choix définitif ? (Randy) Qu’est-ce qui vous donne envie d’y aller ? (Maxence)

flo leiaAttention, je ne suis pas encore partie… Et si j’ai la chance d’aller au-delà des candidatures en ligne, je me réserve le droit de réfléchir à chaque étape. Ce n’est pas une décision que l’on prend à la légère, même si je suis pour le moment très motivée pour aller au bout…

Il y a deux types de raisons qui me donnent envie d’y aller. La première est son exact contraire puisqu’il s’agit d’une pulsion irrationnelle. Quelque chose me pousse, une petite voix me dit que je dois tenter ma chance. Je veux y aller. Presque comme un caprice d’un for intérieur que je ne maîtrise pas du tout, comme si j’avais Mars dans mon ADN et que tout mon être n’avait qu’un but : y retourner. Oui, ça paraît idiot (ou délirant) mais c’est à peu près la description de ce que je ressens.

Ensuite, il y a des raisons un peu plus rationnelles : le besoin de dépasser mes limites, de vivre des choses extraordinaires et/ou inédites, l’envie de découvrir un autre monde, de faire avancer la science et la connaissance et de la partager avec l’Humanité entière… La curiosité, insatiable, qui est la mienne depuis toujours, et le besoin de comprendre tout ça… Tout autour de nous. Je n’arriverai sans doute pas à répondre au « comment » et au « pourquoi » mais j’adorerais pouvoir contribuer à apporter quelques éléments qui permettront d’avancer.

Allez-vous chercher quelque chose que vous n’auriez (peut-être) pas trouvé sur Terre ? (Nicolas)

Ce que j’ai envie de trouver sur Mars qui n’existera plus sur Terre, c’est une société fondée sur des bases beaucoup plus saines. Revenir aux fondamentaux, aux valeurs qui sont les miennes : l’humilité et le respect face à la nature et à ses forces, vivre ensemble et prendre soin les uns des autres, contribuer à la survie de tous, faire avancer la connaissance et la partager.

Je vois une société qui fonctionnerait sans argent, où les décisions seraient prises de manière horizontale, où les enfants (même s’il est pour le moment déconseillé d’en faire sur Mars !) seraient élevés par toute la communauté et où la foi serait quelque chose de secret et d’intime.

Je cherche sur Mars une vie où la violence ne serait que naturelle : lutter pour la survie, s’adapter aux éléments. Ce que l’on a fait pendant des millions d’années avant d’être corrompus par les trois pouvoirs religieux/politiques/financiers mal utilisés et/ou gérés et que l’on subit au quotidien dans une violence qui n’est plus du tout supportable.

En gros, je voudrais donner une chance à l’humanité de repartir de zéro en prenant le meilleur de nous-mêmes (des valeurs, la technologie, les connaissances scientifiques, etc) et en évitant les erreurs commises depuis… pfiou. Une manière de devenir plus sages.
Bien sûr, j’ai conscience que ce genre de fonctionnement puisse être possible avec quelques dizaines d’individus tout au plus. Mais essayons. Mars est un milieu hostile. Nous n’aurons pas d’autre choix que de nous serrer les coudes. Ensuite, quand nous y évoluerons avec plus d’aisance, alors gardons cette culture et ces valeurs et faisons en sorte qu’elles perdurent.

I have a dream… ^^

Vous êtes sûr que vous iriez, car vous ne reverriez pas votre famille ? (Alexane)

Tout dépend de ce qu’on entend par « voir »… En effet, je ne les verrai plus « en vrai » et ce sera très, très dur – sans doute le plus difficile et de loin à laisser derrière soi. Mais il n’est pas question, comme quand on changeait de pays ou de continent il y a quelques siècles, de ne plus avoir de nouvelles du tout, bien au contraire.
Certes, les conversations ne seront pas tellement possibles en raison de l’éloignement des 2 planètes – entre 3 et 22 minutes-lumière de décalage selon leurs positions – mais ça n’empêchera pas de se voir en photo, en vidéo, par mail, etc…

Et puis dans l’autre sens, n’oublions pas que Mars One a vocation d’être un programme télévisé : mes proches auraient des nouvelles de moi 24h/24 si ça leur chante. Ils en auront peut-être ras le bol de voir ma tronche plus souvent qu’en ce moment :p

Donc, quand on y réfléchit, il y a des séparations plus radicales qui existent déjà sur Terre…

Ce ne serait pas soutenir une dépense pharaonique que d’aller sur Mars ? Cela ne sert à rien d’investir autant d’argent pour rien alors que tant d’enfants meurent de faim ! (Damien)

C’est une question qui mérite d’être posée, que je me suis posée, et qu’on me pose souvent.

Je vais commencer par y répondre une autre question. Quand vous vous achetez un truc pour vous faire plaisir, vous demandez-vous pourquoi vous vous permettez ce geste purement égoïste alors que tant d’enfants meurent de faim et que vous pourriez donner cette somme à une association ? Après tout… vous pourriez faire ce geste, et peut-être même que ça vous effleure l’esprit. Mais vous ne le faites pas.
Alors comment juger des gens, des entreprises, des sponsors, des partenaires qui choisissent de dépenser leur argent privé dans ce projet plutôt que dans un autre, plus humanitaire ? (Et d’ailleurs, qui vous dit qu’aller sur Mars n’est pas humanitaire ? Mais j’y reviendrai…)
Comment oser demander des comptes à ces gens ? Comment oser s’offusquer de la manière dont les gens dépensent leur argent… quand vous-mêmes préférez vous offrir un DVD, un énième jean ou une beuverie entre amis un samedi soir quand cet argent pourrait aider à nourrir quelques enfants africains ? C’est une belle preuve d’hypocrisie.

Parce que je rappelle que non seulement Mars One n’est pas un organisme public, mais qu’en plus c’est une fondation à but non lucratif : tout l’argent qu’elle récupère est injecté dans le projet et ne sert en aucun cas à enrichir son fondateur.

Mais admettons que ce ne soit pas le cas… Admettons que la question soit reformulée ainsi : « À quoi sert l’injection d’autant d’argent dans l’exploration spatiale ? »
Je vais répondre d’une manière un peu indirecte. L’exploration spatiale et la recherche fondamentale liée à l’espace sont à l’origine du développement des ordinateurs modernes (à circuits intégrés notamment), des langages de programmation et des systèmes embarqués présents maintenant dans des avions.

Je continue ?
De la couverture anti-feu, de la couverture de survie, de l’airbag, des couches, de l’imagerie médicale (RMN, IRM), et du revêtement des poêles.

Je continue ?
Des freins du TGV, de fauteuils roulants plus légers, du GPS, des balises de détresse, de la télévision par satellite, de la téléphonie mobile et de l’amélioration des prévisions météo avec des images en temps réel vues de l’espace pour surveiller et informer les populations d’un éventuel danger climatique.

Je continue ?
Google Street View, la technologie 3D, la réalité augmentée et l’aspirateur portatif n’auraient jamais pu voir le jour sans l’argent injecté dans l’exploration spatiale.

Je continue ?
Non. Mais je pourrais. La vie technologique que l’on vit aujourd’hui sous nos latitudes ne serait pas possible sans l’exploration spatiale. Rien que le fait de lire cet article sur votre ordinateur ou sur votre téléphone est dû en grande partie à l’exploration spatiale.

Un autre exemple pour convaincre les encore sceptiques. La NASA travaille sur l’impression d’une pizza en 3D : gadget ? En apparence, oui. Ça les intéresse pour pouvoir nourrir les astronautes de manière plus variée que maintenant et sur des plus longues durées : la poudre alimentaire utilisée peut se conserver pendant 30 ans. Mais cette imprimante 3D ne servirait pas qu’aux astronautes : « La machine aiderait avant tout à remédier aux pénuries alimentaires dans le monde, tout en réduisant les déchets », explique l’article de L’Express.

Et voilà le lien entre l’argent injecté dans l’exploration spatiale et les enfants qui meurent de faim.

Quant au projet Mars One, imaginez : il s’agit de survivre dans un environnement plus qu’hostile en totale autarcie. Vous imaginez à quoi pourraient servir les technologies développées pour nous permettre de respirer, de boire et de nous nourrir ? Elles pourraient avoir des dizaines d’applications dans les endroits les plus difficiles de la planète, et je pense notamment à l’Afrique.

Encore un autre exemple : il y a des tas de recherches fondamentales faites sur les astéroïdes. Vous allez me dire : à quoi ça sert de savoir d’où ils viennent, où ils vont, comment ils se comportent, comment ils évoluent alors qu’il y a encore des millions d’enfants qui meurent de faim ? Certes. Mais les astéroïdes représentent un grand danger pour nous. Saviez-vous que chaque jour, 100 tonnes de météorites tombent sur notre planète ?
Tout va bien tant qu’ils ne sont pas gros. Mais la météorite tombée en Russie en février dernier était déjà un peu plus costaude et on ne l’avait pas vue venir. Heureusement, elle n’a fait que des blessés légers – mais ça pourrait être pire, jusqu’à l’extinction pure et simple de toute forme de vie sur la Terre.

Ça peut se produire et ça se produira, ce n’est pas de la science-fiction. Comment savoir quand ? Comment empêcher ça quand ça arrivera ? Comment détruire un astéroïde si on ne le voit pas à temps, si on ne sait pas d’où il vient et où il va, si on ne sait pas comment il se comporte, et si on ne sait pas de quoi il est composé ?
La recherche fondamentale apporte des réponses à toutes ces questions pour des questions de sécurité planétaire – et c’est aussi important que de permettre à des enfants de manger à leur faim.

Et enfin une dernière chose : comme on me pose souvent l’utilité des moyens injectés dans l’exploration spatiale et je manque souvent d’arguments pour répondre, j’ai posé la question à la personne qui fore des trous sur Mars (et il est français, oui…). Sa réponse est à la fois belle et instructive. À écouter à partir de 42 minutes : http://www.youtube.com/watch?v=o_hBGjyEMB8

Il faut explorer et je crois que l’humanité arrive aujourd’hui à la croisée des chemins : toutes les décisions prises avant le 22ème siècle auront des conséquences pour les millénaires à venir – en tout cas c’est mon intuition.
On se tape encore sur la gueule, on injecte des sommes à peine imaginables dans les guerres (l’exploration spatiale à côté c’est du pipi de chat), on bousille notre seule et unique planète à vitesse grand V (le Jour du Dépassement, c’était le 20 août) et on ne fait pas grand-chose contre…

Si on ne décide pas d’aller tenter de s’installer ailleurs maintenant, je ne donne pas cher de l’humanité. Tsiolkovsky disait : « La Terre est le berceau de l’humanité, mais on ne passe pas sa vie entière dans un berceau. »
Ça rejoint ce que dit Eric Lorigny dans la vidéo ci-dessus : si on reste enfermés sur nous-mêmes comme les Chinois l’ont fait il y a quelques siècles, on est foutu.

Et même si le projet Mars One n’aboutit pas, je pense qu’il aura au moins le mérite de mettre un coup de pied au cul aux agences spatiales pour se remettre aussi aux voyages habités. Et peut-être même d’intéresser la planète entière, peu importe les cultures et les religions, à un seul projet universel. Et si ça peut faire comprendre que nous sommes tous pareils, au fond, et que ça apaise un peu les rapports entre les gens et les pays, alors 6 milliards… C’est rien, à côté des retombées qu’il pourrait y avoir.


 

Décollage

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Quelle serait la date de décollage ? (Christian)

Le premier départ est prévu pour 2022, avec un départ d’une équipe de quatre personnes tous les deux ans.

Comment iriez-vous sur la planète rouge ? (Laetitia)

Dans un vaisseau spatial où nous devrons réussir à survivre à 4 pendant 7 mois dans une boîte de conserve de 80m2 « habitables »…

Mais je me dis que c’est la durée d’une mission dans l’ISS, finalement.

Pour plus de précisions, toutes les réponses sont ici.

Quels seraient sur les points sur lesquels vous ne vous sentiriez pas prêtes ? Ou pas en confiance ? (David)

L’atterrissage, essentiellement. C’est très compliqué d’arriver en un seul morceau sur le sol de Mars et ça n’a jamais été fait avant avec des êtres humains. Et une de mes pires craintes soit qu’on arrive à se poser sans problème… mais pas à l’endroit prévu. Si on doit faire des centaines de kilomètres à pied pour rejoindre les modules d’habitation avec les vivres et l’eau, avec 7 mois d’apesanteur dans les jambes… on risque de ne pas survivre très longtemps. Je ne suis donc pas tout à fait rassurée sur ce point.

J’ai aussi une crainte toute particulière en ce qui concerne la vue. C’est ma plus grosse angoisse, sur Terre comme sur Mars : la perdre. Or, les rayons cosmiques peuvent abîmer les yeux. Serons-nous assez protégés pour qu’on arrive à garder une vue correcte jusqu’à la fin de nos jours ? Je ne sais pas…

Quant aux petites choses quotidiennes comme s’habiller ou se coiffer… J’en ai déjà rien à secouer sur Terre, alors sur Mars… ! 😀

Avez-vous déjà pensé à une phrase pour entrer (encore plus) dans l’Histoire lors de vos « premiers pas » ? (Quentin)

Alors, déjà, j’aimerais que ce soit une femme qui pose en premier le pied sur Mars, non-américaine et non-russe, et si possible noire. J’explique tout ça dans ce billet.

Dans tous les cas, j’aimerais bien que ce soit une déclaration à Mars, du genre : « Bonjour Mars, merci de nous accueillir sur ton sol. Nous, humains de la planète Terre, te promettons de te respecter et de rester humble face à toi. Nous venons apprendre à mieux te connaître avec bienveillance et nous espérons que tu toléreras notre présence. Bisous. Tu nous offres un chocolat chaud, après 7 mois passés recroquevillés dans le vide glacial de l’espace, steup ? ».

Bon, d’accord, ça fait un peu long pour une phrase historique à sortir après un atterrissage périlleux et 7 mois de voyage dans un espace réduit et clos. Mais blague à part, j’aimerais bien une déclaration, oui. Qu’on accrocherait et qu’on s’efforcerait de respecter et de ne jamais oublier.

Nous ne sommes pas des colonisateurs : nous sommes des explorateurs. Et la Terre est la seule planète connue qui réunisse toutes les conditions de confort pour notre espèce. N’oublions jamais ça.


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Partie 1 : Présentation
Partie 2 : Préparation et décollage
Partie 3 : Sur Mars ?

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Sébastien BAGES

Plus de trois années de travail passionné sur Civilisation 2.0 Actus, et fondateur de l'association Civilisation 2.0, je mets à contribution mon expertise de veille technique et scientifique, mon analyse de chef de projet, mon engouement pour la science et ses outils, et mon expérience dans le développement stratégique afin d'offrir à tous ce qui en résulte.

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