Quand il s’agit de vos humeurs, de décisions à prendre et certains comportements, le cerveau dans votre tête n’est pas le seul qui pense.
Ça a été une matinée difficile. Vous étiez en retard au travail, vous avez raté une réunion cruciale et maintenant votre patron est en colère contre vous. Vient ensuite l’heure du déjeuner, vous continuez tout droit après le bar à salade et vous vous dirigez vers ce resto bourratif. Vous ne pouvez pas vous aider – en période de stress, le cerveau nous pousse à rechercher des aliments réconfortants. C’est bien connu. Ce que vous ne savez probablement pas, cependant, c’est que le vrai coupable peut ne pas être le cerveau situé dans votre boîte crânienne, mais l’autre.
Non, nous n’avons pas craqué, nous parlons bien de votre autre cerveau, et cela n’a pas trait à la sexualité. Votre corps contient un système nerveux distinct qui est si complexe qu’il a été surnommé le second cerveau. Il comprend environ 500 millions de neurones – environ cinq fois plus nombreux que dans le cerveau d’un rat – et est d’environ 9 mètres de long, qui s’étendent de l’œsophage à l’anus. C’est ce cerveau qui pourrait être responsable de votre envie de chips, chocolats et biscuits suite à un stress.
Noyé dans la paroi de l’intestin, le système nerveux entérique (SNE) est connu depuis longtemps pour contrôler la digestion. Maintenant, il semble qu’il joue aussi un rôle important dans notre santé physique et bien-être psychique. Il peut fonctionner à la fois indépendamment et en collaboration avec le cerveau dans la tête et, même si vous n’êtes pas conscient de votre « pensée » intestinale, le SNE vous aide à détecter les menaces environnementales, et influence alors votre réponse. « Une grande partie des informations que l’intestin envoie au cerveau affecte le bien-être, et ne parvient même pas à la conscience », a expliqué Michael Gershon, du Columbia-Presbyterian Medical Center, à New York.
Si vous regardez à l’intérieur du corps humain, vous ne pouvez pas manquer de remarquer le cerveau et ses ramifications de cellules nerveuses qui courent le long de la moelle épinière. Le SNE, un réseau largement distribué de neurones répartis dans deux couches de tissu intestinal, est beaucoup moins évident à observer, ce qui explique pourquoi il n’a été découvert seulement qu’au milieu du XIXème siècle. Il fait partie du système nerveux autonome, le réseau des nerfs périphériques qui contrôlent les fonctions viscérales. Il est également le système nerveux de base, émergeant chez les premiers vertébrés, il y a plus de 500 millions d’années et est devenu de plus en plus complexe au fur et à mesure que les vertébrés ont évolué – peut-être même à l’origine du cerveau lui-même.
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Le système nerveux entérique dans les boyaux, ou ‘second cerveau’, partage de nombreuses caractéristiques avec le cerveau dans la tête. Il peut agir de manière autonome et influence même le comportement en envoyant des messages à travers le nerf vague jusqu’au cerveau.
LE CERVEAU :
* Aidé par les cellules gliales
* 85 milliards de neurones
* 100 neurotransmetteurs identifiés
* Produit 50% de toute la dopamine
* Produit 5% de toute la sérotonine
* Une barrière empêche au flux sanguin d’entrer dans le cerveau
LE SECOND CERVEAU :
* Aidé par les cellules gliales
* 500 millions de neurones
* 40 neurotransmetteurs identifiés
* Produit 50% de toute la dopamine
* Produit 95% de toute la sérotonine
* Une barrière empêche au flux sanguin d’entrer dans le second cerveau
Les parties annotées du corps : moelle épinière (Spinal Cord), nerf vague (Vagus Nerve), nerf pelvien (Pelvic Nerve), estomac (Stomach), gros intestin (Large Intestine), intestin grêle (small intestine)
Le système nerveux entérique comprend un réseau de neurones répartis dans deux couches de tissu intestinal
* Flèche violette : le plexus sous-muqueux de Meissner
* Flèche orange : le plexus myentérique[/notification]
La digestion est un processus complexe, il est donc logique d’avoir un réseau dédié de nerfs pour la surveiller. En plus de contrôler le mélange mécanique de la nourriture dans l’estomac et la coordination des contractions musculaires pour faire passer les restes au travers du tube digestif, le SNE entretient également l’environnement biochimique dans les différentes sections de l’intestin, en les gardant au pH correct, et la composition chimique nécessaire pour les enzymes digestives leur créant un bon milieu de travail.
Mais il y a une autre raison qui fait que le SNE a besoin d’autant de neurones : manger est empli de dangers. Comme la peau, le tube digestif doit empêcher les envahisseurs potentiellement dangereux, tels que les bactéries et les virus, de pénétrer dans le corps. Si un agent pathogène doit traverser le revêtement des intestins, les cellules immunitaires dans l’intestin sécrètent des substances inflammatoires, y compris l’histamine – molécule de signalisation du système immunitaire, de la peau, de l’estomac et du cerveau des vertébrés -, qui sont détectés par les neurones du SNE. Le cerveau-intestin qui déclenche une diarrhée et / ou avertit le cerveau dans la tête, peut décider d’engager des vomissements, ou les deux.
Vous n’avez pas besoin d’être gastroentérologue pour être au courant de ces réactions instinctives – ou même des sentiments subtils de votre estomac qui accompagnent les émotions telles que l’excitation, la peur et le stress. Pendant des centaines d’années, les gens ont cru que l’intestin interagissait avec le cerveau pour influencer la santé et la maladie. Pourtant, ce sujet n’a été étudié qu’au cours du siècle dernier.
Il y a eu deux pionniers dans ce domaine : le docteur américain Byron Robinson, qui a publié en 1907 The Abdominal and Pelvic Brain (le cerveau abdominal et pelvien), et son contemporain, le physiologiste britannique Johannis Langley, qui a inventé le terme ‘système nerveux entérique’. Autour de cette période, il est également apparu que le SNE pouvait agir de manière autonome, avec la découverte que, si la connexion principale avec le cerveau – le nerf vague ou pneumogastrique (voir schéma) – est coupé du reste, le SNE est capable de coordonner la digestion. En dépit de ces découvertes, l’intérêt pour le cerveau intestinal est retombé jusqu’à ce que, dans les années 1990, le domaine de la Neurogastroentérologie naisse.
Image domaine public
Nous savons maintenant que le SNE n’est pas seulement capable d’autonomie, mais possède aussi une influence sur le cerveau. En fait, environ 90% des signaux passant le long du nerf vague ne viennent pas d’en-haut, mais bien du SNE (American Journal of Physiology – Gastrointestinal and Liver Physiology, vol 283, p G1217).
Curieux d’aller plus loin ?
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I – Introduction
II – Le facteur bien-être
III – Instincts intestinaux[/notification]
Crédit image À-la-Une : Sam Falconer
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