Affinités et disparités entre le Technoprogressisme, le Transhumanisme et The Venus Project – Parties 1 & 2 –

Affinités et disparités entre le Technoprogressisme, le Transhumanisme et The Venus Project – Parties 1 & 2 – 1698 600 Civilisation 2.0 Actus


Affinités et disparités entre le Technoprogressisme, le Transhumanisme et The Venus Project

Trois objets et courants de pensée complexe, étudiés dans leur(s) sens contemporain(s) ;

Un entretien entre l’Association Française Transhumaniste Technoprogressiste et l’Association Civilisation 2.0, réalisé le mercredi 18 mars 2020


Introduction

Cet entretien en 3 parties avec les président et vice-président de l’Association Française Transhumaniste : Technoprog (AFT), nous amène ici à étudier en profondeur la contemporanéité de notions qui, bien que connues dans l’imaginaire collectif [le TVP, bien que plus jeune, connaît selon nous un phénomène assez similaire dans sa représentation populaire], semblent pourtant méconnues dès lors que l’on s’intéresse à les définir. Le tout, bien entendu, sans prendre de raccourcis ô combien trop abusifs, comme ne manqueront pas de nous le rappeler nos interlocuteurs.

Un échange riche qui, nous l’espérons, amènera nos lecteurs à appréhender avec plus de pertinence ce leitmotiv fondamental qui anime notre intérêt pour les sciences et les techniques, à savoir la notion de « proactivité ».


Première partie

Marc Roux, Président et Porte-Parole de l’Association Française Transhumaniste : Technoprog, chercheur affilié à l’Institute for Ethics and Emerging Technologies (IEET). Issu d’une formation d’historien sur les notions d’identités et de frontières entre les peuples d’Orient et d’Occident d’Europe.

Didier Coeurnelle, Vice-président et Porte-parole de l’Association Française Transhumaniste : Technoprog, coprésident de l’association Heales (Healthy Life Extension Society) et membre fondateur ainsi que membre du board de l’International Longevity Alliance, ainsi que juriste de métier et militant pour la recherche en faveur d’une vie en bonne santé beaucoup plus longue.


Echange sur les parcours des membres fondateurs de l’AFT, des chemins hétéroclites pour une finalité commune

Mathias, président de C2.0 (M.T.) : Bonjour Marc, au vu de ton parcours d’historien et d’études des mouvements de pensée occidentaux et orientaux, peut-on dire que ton sujet de recherche porte sur la « multiculturalité » ? Si oui, que penses-tu des notions développées par Gérald Bronner en sociologie cognitive, concernant les invariants mentaux et les variables culturelles et sociales ?

Marc Roux (M.R.) : Ce n’est pas une dimension qui était centrale dans mon travail de thèse, mais c’est une dimension que je travaillais un peu en dehors. En échange je pense que c’est vraiment cet aspect là de ma réflexion qui finalement m’a mené au transhumanisme. C’est à dire, cette réflexion sur le fait que, dans la question des identités, ce qui me semblait ressortir comme le plus essentiel, davantage que les aspects structurels ou les aspects constituants même, que ça soit au niveau des peuples ou des personnes, c’était les discours… C’est ce type de réflexions qui, petit à petit, m’a amené à me dire que chez l’humain en général c’était du même ordre, et donc que l’on pourrait imaginer que l’humain soit amené à se transformer de manière considérable sans pour autant qu’il perde son identité d’humain, pour peu qu’il continue à se prétendre humain en quelque sorte.

Il y a là une approche que l’on appelle parfois nominaliste, mais ma réflexion m’a amené à me dire que c’était tout à fait crucial. C’est donc par ce genre de démarches que je suis arrivé au transhumanisme, pour le dire très rapidement. Tout ça sans pour autant me référer à des penseurs, des sociologues, ou quoique ce soit… C’est plutôt qu’à l’époque, dans les années 90s, ma réflexion m’a porté à m’intéresser d’abord à la notion de conscience, à travers les philosophes, puis aux travers des neurosciences. Depuis, du coup, je creuse autant que je peux dans le champ des neurosciences pour essayer d’approfondir cette réflexion. On va en parler par la suite mais tu vas voir que ces réflexions là, elles ont un impact très concret dans la manière dont je pense les choses et, par exemple, elles sont une des raisons pour lesquelles je pense que dans le Venus Project, pour moi, il manque quelque chose d’essentiel et de déterminant. 

M.T. : C’est ce que nous allons voir ensemble, mais on voit déjà la portée universaliste de ton raisonnement. Cette idée qu’au-delà des variables culturelles, il y a des choses qui nous sont communes. Réflexion qui t’amène donc au transhumanisme, si l’on te suit bien.

Ma question avait également pour but de voir si ton raisonnement tendait, ou non, à une certaine forme de relativisme postmoderne, une tendance relativiste radicale dénoncée par des personnalités comme Jean Bricmont et Alan Sokal, dans leur ouvrage Impostures Intellectuelles, tendance que l’on retrouve beaucoup dans les cursus littéraires.

M.R. : Pour ma part la pensée relativiste et structuraliste est très importante, c’était une grille de lecture qui était absolument indispensable, surtout dans l’histoire de la pensée occidentale. C’est à dire que je peux me retrouver pas mal dans certaines critiques relativistes mais, par ailleurs, je pense que cette manière de penser a aussi ses limites, des limites qui ne font cependant pas disparaître toute sa valeur.

M.T. : Le relativisme en philosophie reste légitime, son étude marque d’ailleurs une certaine distinction entre la philosophie plutôt empiriste anglo-saxonne de la philosophie plutôt relativiste francophone. Comme on peut le voir avec le philosophe français Michel Foucault et son travail sur l’influence des variables sociales, une réflexion menée via une philosophie relativiste bien à sa place. A contrario du relativisme postmoderne radical, qui flirte  dangereusement avec la position philosophique insoutenable du solipsisme. Toutes ne se valant pas, il subsiste donc des systèmes de raisons plus solides que d’autres, à considérer en priorité.

Te concernant Didier, peux-tu nous parler de tes engagements hors AFT, sachant que de base tu es juriste de métier et que tu travailles sur les structures administratives belges en lien avec la sécurité sociale ?

Didier Coeurnelle (D.C.) : C’est bien ça oui, exactement, je travaille avec l’équivalent du ministère fédéral de la sécurité sociale. Puis en deux mots, à l’intérieur de l’AFT, mon intérêt principal va vers les questions de longévité et vers le sujet des risques existentiels, si vous voyez tous les deux de quoi je parle, Marc oui évidemment [réponse par la négative de notre part], et puis après ça je m’intéresse également à l’Intelligence Artificielle et aux risques inhérents à celle-ci, ainsi qu’à d’autres aspects du transhumanisme.

Je dirais aussi que mon engagement politique depuis plus de 30 ans penche principalement vers les valeurs de gauche, notamment en ce qui concerne la lutte contre les inégalités, pour plus d’égalité et dans une perspective écologiste.

M.T. : Merci à tous les deux, ces questions serviront de rappel à nous et nos lecteurs, concernant certains des éléments fondateurs de vos raisonnements. Je laisse maintenant la parole à mon collègue, afin qu’il vous rappelle quelques-uns des principaux ouvrages de référence du TVP, qui attestent que ces derniers incluent également une réflexion sociale dans leurs travaux. Un élément qui nous tient tous à cœur, comme nous le verrons par la suite.

Jean Depiesse (J.D.) : Pour rebondir sur ce qui a été dit précédemment, notre association – fondée et présidée par Sébastien Bages de 2011 à 2016 [aujourd’hui conseiller pour notre ONG] – a également fait traduire les principaux livres et médias de The Venus Project, dont l’ouvrage principal intitulé The Best That Money Can’t Buy (Edition Fr : La prospérité sans en payer le prix) que nous avons mis à disposition en français.

Il y a également les deux autres livres, à savoir Looking Forward (version Fr : Entrevoir l’avenir) et Designing The Future (version Fr : Concevoir le futur), qui sont tous deux intéressants. En particulier, nous conseillons de lire TBTMCB comme introduction à The Venus Project, c’est l’ouvrage principal de vulgarisation des concepts du TVP.

M.T. : En effet, l’ouvrage principal est ici déterminant, tout comme, selon moi, l’ouvrage intitulé Looking Forward, qui se présente sous la forme d’un ouvrage d’anticipation au sein d’un monde fonctionnant dans le cadre d’une Économie Basée sur les Ressources (EBR). Une histoire qui dépeint donc un avenir positif avec des enjeux qui lui sont propres.

Un exercice qui est selon nous instructif et nous mène à la suite de notre entretien, à savoir les questions concernant le techno progressisme et le transhumanisme.


Deuxième partie


Questions sur le techno-progressisme et le transhumanisme, à la découverte d’une polysémie riche de nuances


A. Le techno-progressisme n’est-il pas antérieur aux travaux de James Hughes ? Une référence étalon, semble t-il, pour votre association, si l’on s’en tient à l’article sur votre site, intitulé « Qu’est-ce que le Transhumanisme démocratique ? »

Marc Roux (M.R.) : Je ne me souviens pas, notamment dans son ouvrage Citizen Cyborg, qui est le bouquin dans lequel il résume l’essentiel de sa pensée à ce moment là, qu’il fasse référence à des penseurs très spécifiques. Il y a des références bien entendu, mais pas qui dominent nettement dans ce domaine là.

Il me semble au fond que toutes les parties et les dimensions sociales et politiques, ou bien encore les réflexions sur l’usage des sciences, elles existent depuis belle lurette, elles ont traversé tout le XXème siècle au moins, voire même on en trouve dans les préludes et la fin du XIXème siècle. Il me semble par contre que ce qui est plus spécifique dans la pensée de Hughes, et dans la pensée des transhumanistes en général, ce serait cette réflexion sur l’évolution possible de la biologie humaine. Pour moi c’est ce qui manque un peu, et à la fois le plus, dans par exemple le Venus Project.

Ca me semble être la plus grande particularité de la réflexion transhumaniste. Donc, je vois pas tellement de références à donner, du moins qui fasse le lien avant. C’est à dire qu’avant, et d’ailleurs là aussi tout le long du XXème siècle, on a également des penseurs qui ont réfléchi, en utilisant des termes divers, sur ce qu’aujourd’hui nous appelons le transhumanisme. Bien évidemment, la référence la plus célèbre serait Julian Huxley, puisque c’est le premier à utiliser le terme « transhumanisme », mais par exemple vous avez John Haldane, dans les années 20, 30, du XXème siècle, qui commence à réfléchir à la notion d’utérus artificiel. C’est d’ailleurs le type qui – le monde étant petit ce sont des gens qui se connaissaient – a influencé le frère de Julian, à savoir le célèbre Aldous Huxley, avant l’écriture de son ouvrage Le Meilleur des Mondes.

Vous pouvez penser plus tard à Robert Ettinger, le premier homme à penser et à théoriser l’idée de cryopréservation, la cryonie. Tout ça ce ne sont pas des gens qui ont développé une vision sociopolitique, c’était souvent des scientifiques, des biologistes, par exemple. Ces deux modes de pensée, je n’ai pas l’impression qu’ils se soient vraiment rencontrés avant le transhumanisme dans sa forme contemporaine.

Il me vient également à penser à Pierre Teilhard de Chardin qui a développé une dimension philosophique, spiritualiste. En même temps c’est un paléoanthropologue, mais par contre dans ses écrits il n’y a pas la dimension politique.

Donc voilà, cette jonction n’est pas faite pendant tout ce temps là et il me semble que c’est plutôt la pensée de certains transhumanistes qui l’ont fait émerger. Ensuite – évidemment selon les transhumanistes, ça prend des directions diverses – chez Max More on est dans une forme de libertarianisme alors que chez Hughes on est dans une forme de… en américain ils disent « democrat », en européen on dirait « social-démocrate » peut-être. Encore qu’avec Hughes aujourd’hui, c’est un fervent défenseur de Bernie Sanders, donc on peut quasiment parler de socialisme au sens européen du terme.

Pour revenir à la question, concrètement, je ne vois pas de références bibliographiques précises qui reprennent, avant Hughes, l’intégralité de ces réflexions.

Mathias Techer (M.T.) : En t’écoutant, on voit donc bien que le mouvement technocrate, initié en 1919 par l’ingénieur californien William Henry Smyth, qui a donné naissance au « Mouvement Technocratique » en 1932, correspond plus au libertarianisme de Max More, James Hughes penchant plus du côté d’une certaine forme de social-démocratie. Tes propos confirment cependant, pour le moment, notre idée selon laquelle les réflexions de feu Jacque Fresco entrent en résonance avec celles de Hughes. Point sur lequel nous reviendrons plus tard.

On peut également penser à des auteurs comme Auguste Comte, qui désirait remettre la science au premier plan, afin d’expérimenter une politique plus pragmatique, scientifique et expérimentale. Mais comme tu le dis toi même, la réflexion sociale semble ici également un peu écartée.

Didier Coeurnelle (D.C.) : Pour ajouter un petit mot, je serais moins net que Marc – bien qu’il ne l’ait pas toujours été non plus – j’ai l’impression que tout cela s’inscrit dans une continuité.

Alors, il y a des pré-transhumanistes assez nombreux, du genre qui, dans les milieux de gauche, ont mis la modification de l’être humain aussi parmi les choses qui étaient envisageables. Maintenant le fait de mettre tout cela ensemble c’est probablement James Hughes effectivement qui est l’un des premiers, connus en tout cas, à l’avoir fait.

Il y a notamment le cosmisme russe qui était pré-transhumaniste, il y a notamment dans les écrits de Marx et de Trotski des choses qui concernent le progrès technologique, peut-être pas la modification biologique mais… [Marc nous confirme que si *1] … On me l’a déjà dit plusieurs fois, mais je ne les ai jamais trouvé, ça m’intéresse. C’est donc bien une continuité.

Après, par rapport à mon sujet favori, rapidement, il y a une chose qui me frappe souvent dans les pré-transhumanistes c’est, à part pour les cosmistes, la question de la longévité qui est relativement peu présente.

Et dernière chose, c’est que beaucoup de gens utilisent le terme « orthogonale », donc il y a d’une part ceux qui sont « pour » les progrès technologiques (pour faire très caricatural), et ceux qui sont « contre » ces mêmes progrès, donc soit pour les favoriser soit pour les ralentir. Puis, il y a ceux qui sont pour plus d’égalité et ceux qui sont pour moins d’égalité, ou en tous cas qui considèrent que l’égalité n’est pas une priorité. Les deux positions sont donc « orthogonales ». Les gens « pour » les progrès technologique et « contre » plus d’égalité, ou bien « pour » le progrès technologique et « plus d’égalité » et ainsi de suite…

M.T. : Ne pourrait-on pas résumer le tout en trois courants ? À savoir les bioconservateurs (version moderne des « luddites »), les transhumanistes libertariens et enfin les transhumanistes dits sociaux démocrates ?

D.C. : On pourrait même parler de quatre courants. Pour le progrès technologique et les progrès… de gauche on va dire, ça c’est plutôt nous [1] ; pour le progrès technologique mais pas d’accent sur l’égalité, plus d’accent sur la liberté individuelle, ce serait Max More [2] ; le biologiste français Jacques Testart serait probablement l’exemple de celui qui est pour plus d’égalité mais contre les progrès technologiques [3] ; et puis le mouvement français « La Manif pour Tous » contre à la fois l’égalité et le progrès technologique [4].

Voilà donc les quatre camps que l’on peut trouver je pense. Evidemment, avec d’innombrables nuances… Après, dans la branche longétiviste, dont moi par exemple avec l’association HEALES, on trouve qu’il faut aller le plus loin possible pour la longévité mais pas jusqu’au cerveau détaché du corps et l’IA mélangée à l’humain.

M.R. : Une autre manière d’essayer de visualiser tout ça a été justement proposée par Hughes, qui propose un schéma en trois dimensions.

En considérant que nos pensées traditionnelles étaient en effet décrites sous une forme comme ça « d’orthogonalité », entre d’une part les dimensions politiques traditionnelles…  – avec interventionnisme ou non interventionnisme dans l’économie par exemple, et d’autre part avec la question des mœurs – il s’est rendu compte que ce sont les deux axes qui définissent le champ politique habituellement.

Partant de ce constat, Hughes a défini un troisième axe, qui est perpendiculaire aux deux premiers, qui est celui de la biopolitique, qui en gros oppose les bioconservateurs aux bioprogressistes (après on peut y caser tout ce qu’on veut)…

D.C. : … En super bref, lui il met 3 axes, donc on pourrait dire gauche/droite économique et puis la gauche/droite philosophico-sociale (plus de libertés sexuelles versus moins de libertés sexuelles, et autres questions du rapport à son corps, etc), donc… ça fait, ça fait combien, 8, même probablement plus, 16, je sais pas, il faut voir…

[Incidents techniques]

En raison de plusieurs micro-coupures durant l’échange concernant le schéma de James Hughes, nous ajoutons ci-joint un extrait de l’ouvrage de l’AFT intitulé TECHNOPROG : Le transhumanisme au service du progrès social, où il est question des travaux de Hughes et dudit schéma :

À ce jour, les transhumanistes représentent un groupe réduit en nombre, mais d’une grande diversité. La pensée transhumaniste se développe dans un champ de réflexion qui ne correspond pas à celui de la pensée socio-politique traditionnelle. Comme la réflexion écologiste, par exemple, le transhumanisme peut en effet faire l’objet des interprétations les plus diverses, depuis celles des extrêmes, droite ou gauche, à celles des libéraux ou des progressistes. Cette transversalité de la pensée transhumaniste a notamment été conceptualisée et illustrée par James Hughes dans son ouvrage Citizen Cyborg. Il y propose un schéma que nous avons traduit et complété :

Sur le schéma, l’axe horizontal « Politiques culturelles » oppose un conservatisme et un progressisme concernant les mœurs et les libertés individuelles. Aujourd’hui, il voit s’opposer les partisans ou les opposants à la gestations pour autrui (GPA) ou au mariage libre ; l’axe vertical « Politiques économiques » correspond surtout à la divergences entre politiques interventionnistes et libéralisme sur le marché. L’opposition classique « gauche/droite » résulte d’une synthèse entre ces deux axes. L’axe transversal enfin, « Biopolitiques », est celui du questionnement transhumaniste : dans quelle mesure pouvons-nous intervenir dans l’évolution biologique de l’humain.

Les transhumanistes s’accordent tous sur l’idée que nous devons nous permettre d’intervenir, et éventuellement de manière massive, dans cette évolution, mais ils sont porteurs de conceptions tout à fait diverses sur les types de sociétés que nous pouvons développer dans un contexte transhumaniste.  *

M.T. : Vos propos font écho à ceux du philosophe belge Gilbert Hottois, dans son essai Le Transhumanisme est-il un humanisme. Il a notamment écrit des choses intéressantes sur ces oppositions en internes, ou bien concernant les oppositions que l’on entend généralement formulées contre le transhumanisme, le tout que ça soit en Europe ou en Amérique. Selon vous, il semblait donc avoir une bonne lecture de ce sujet ?

M.R. : Moi je lui ai dit que je pense que, parmi les philosophes de sa génération, c’est celui qui a le mieux compris ce qu’est réellement le transhumanisme…

M.T. : Je te rejoins également, notamment au vu de ce que j’ai pu en lire et des propos que nous tenons jusque là. Je vous propose d’aller maintenant un peu plus loin avec la seconde question.


B – Peut-on envisager le transhumanisme comme un effet secondaire des idéaux du technoprogressisme ?

M.R. : Je pense qu’il y a une toute petite réflexion préalable à avoir pour s’entendre, qui porte sur le sens que l’on donne à ces différents termes. Parce que comme ce sont des « néologismes » – même si le terme « transhumanisme » a quasiment un siècle – ça peut rester encore un peu flou. Ce qui fait que bon nombre de personnes ont tendance à l’utiliser chacune à leur sauce, et si on ne prend pas la peine de s’entendre bien sur le sens que l’on donne aux termes, ça peut nous gêner. Il m’est arrivé plein de fois où j’ai assisté, et même participé, à des discussions qui ont mené à des dialogues de sourds, parce que les gens n’arrivaient pas à comprendre qu’ils ne parlaient pas de la même chose. Ils ne mettaient pas le même sens sur les termes employés.

Alors, le transhumanisme a une histoire, sans pour autant reprendre ce que l’on a pu dire ci-dessus, mais rien que dans sa forme contemporaine, c’est à dire depuis à peu près les années quatre-vingt, il faut bien avoir en tête qu’il y a des gens qui le réduisent à ce qu’a été ce mouvement, et les penseurs qui l’ont porté, simplement à ce qu’il était à son origine, et donc dans les années quatre-vingt. C’est encore très fréquent, moi j’ai toute une réflexion sur ce phénomène, ça peut se comprendre, ça s’explique, mais c’est problématique. Cette définition restreinte revient à dire, en quelque sorte, que le « transhumanisme = libertarianisme » ou même parfois on le résume à « l’extropianisme », c’est à dire le transhumanisme à la Max More, le fondateur de l’Extropy Institute. Je ne rentre pas dans les détails pour ce qui est de l’extropie, je sais pas si vous avez découvert ça…

Jean Depiesse (J.D.) : J’ai fort apprécié son essai Principes extropiens 3.0.

D.C. : Très rapidement déjà, pour répondre à la question que tu viens de nous poser, encore une fois pour moi le « technoprogressisme » c’est le « transhumanisme » avec la valeur sociale d’égalité, d’appropriation collective, etc, sur lequel il y a plus d’accents, en tout cas dans ce dont on a discuté, puisque chez d’autres transhumanistes on peut ne pas trouver trace de ces réflexions.

Je suis également d’accord avec Marc, il y a plein d’utilisations différentes du terme « transhumanisme », des utilisations qui pour certaines traitent uniquement de la transformation de l’homme en machine, ou encore les hommes sans corps, jusqu’aux réflexions traitant uniquement de la longévité, mais aussi d’ailleurs dans l’esprit des transhumanistes eux-mêmes, il y a également tout plein de nuances (cf : schéma de Hughes). Voilà donc pour ma première réponse. 

M.T. : Déjà ça permet d’y voir plus clair, la question que j’ai posé à l’instant j’y avais déjà répondu en partie mentalement, au regard de ce que l’on a dit précédemment, notamment en ce qui concerne l’intéressante imbrication des deux termes « transhumanisme » et « technoprogressisme ».

D.C. : J’ajouterais qu’à la confusion existante, que pour un autre mot qui est souvent utilisé, le « posthumanisme », c’est également la même chose. Mon interprétation c’est plutôt que le « posthumanisme » irait plus loin que le « transhumanisme », quand il n’y a plus d’humain. Mais bon ça n’empêche qu’il y a parfois des gens qui pensent le « posthumanisme » comme étant plus modéré que le « transhumanisme », on voit donc qu’il n’y a pas de définitions univoques. Donc tous ces termes sont utilisés mais je pense qu’en général, de bons choix ainsi que de mauvais choix sont fait en toute bonne foi, dans des sens très différents aussi.

De toute façon, toutes les perspectives dans ces domaines sont vertigineuses et on ne connaît pas l’ensemble du champ des possibles. Par exemple, on n’a pas parlé jusqu’ici de la singularité, de la possibilité d’une intelligence artificielle forte dépassant l’intelligence humaine, qui la compléterait sans pour autant s’y substituer – sans pour autant la dépasser de manière isolée on va dire. 

M.T. : Pour le « posthumanisme » d’ailleurs, je vais me permettre une digression pour rebondir sur ton propos Didier, le seul film qui, selon moi, représentait assez bien ce que j’ai pu en comprendre, notamment concernant ce côté au-delà du « transhumanisme », c’est le film Her avec Joaquim Phoenix. Ca vous dit quelque chose ? [Approbation générale]

J’ai trouvé ça assez intéressant, notamment en ce qui concerne la fameuse IA interprétée par Scarlett Johansson, qui se développe tellement qu’elle finit par s’exiler dans le cloud. Du fait qu’elle n’a plus d’intérêt à échanger avec le genre humain. J’ai trouvé qu’on touchait là un bel exemple de ce que pourrait donner une IA forte – qui n’existe pas encore et peut-être jamais, mais je trouve que ce film correspond assez fidèlement à l’idée que je m’en fais.

M.R. : On aura l’occasion d’en reparler, mais pour revenir à ce que l’on disait, j’étais en train de rappeler qu’il y a des questions de définitions qui se posent. Il y a donc une tendance encore assez marquée, dans les médias, chez certains critiques, mais même chez certains transhumanistes, de faire équivaloir le mot « transhumaniste » à ce à quoi il correspondait dans les années quatre-vingt, au moment de l’émergence du mouvement. C’est à dire une interprétation libertarienne, pour le dire rapidement.

Or le mouvement transhumaniste international a assez considérablement évolué depuis quarante ans maintenant. Notamment au tournant des années 2000, on a constaté qu’il, le mouvement, avait commencé à prendre en charge les questions sanitaires, environnementales et sociales, ce qui s’est traduit complètement dans l’élection de Hughes à la tête de l’organisation fondée en 1998 par Nick Bostrom, qui s’appelait au départ la « World Transhumanist Association (WTA) », devenue aujourd’hui « Humanity+ ».

Dans les années qui ont suivi l’élection de Hughes, ce dernier étant un sociologue, il s’est amusé à faire des analyses sociologiques, des sondages je crois au sein de l’association, dont 3 enquêtes assez importantes au temps où il a était président. Il en est ressorti de ces enquêtes – tout en pensant à se méfier des biais d’interprétation – que les libertariens en gros représentaient à ce moment là pas plus de 20% des membres de la WTA, alors que ceux qui relevaient du technoprogressisme représentaient quant à eux environ 40%, du moins pour ceux qui s’en revendiquent ouvertement. Les autres pourcentages se répartissant entre transhumanistes spiritualistes, particulièrement aux Etats-Unis, notamment chrétien, mais on y retrouve également des gens se revendiquant d’un « technicogaïanisme », c’est à dire plus attentif aux questions environnementales, à une époque où ce n’était pas tellement mis en avant parmi les transhumanistes.

Donc voilà, ça se répartissait dans des familles assez diverses, ce qui montrait bien que le transhumanisme est une nébuleuse, qui plus est mouvante, avec des gens qui pourraient se retrouver dans plusieurs cercles internes au transhumanisme, mais pas tous. C’est donc déjà assez complexe en interne et changeant. Tout ça a mené à dire que, réduire le transhumanisme au libertarianisme de Max More c’était tout à fait réducteur.

Ensuite, pour revenir plus précisément à ta question de savoir si on pouvait envisager le technoprogressisme comme une certaine forme de marchepied au transhumanisme, je dirais que ça dépend du sens qu’on donne au technoprogressisme. Si on le prend au sens étymologique, c’est quelque chose qui, on l’a dit tout à l’heure, remonte au moins au XIXème siècle, même avant si tu prends par exemple le Marquis de Condorcet, tu pourrais le qualifier de « technoprogressiste ».

M.T. : Pour rebondir sur ton propos, en lisant Gilbert Hottois, ce qui a nourrit un peu mes réflexions sur le sujet, j’ai commencé un article traitant des rapports entre TVP et transhumanisme, d’où notre échange aujourd’hui, et j’ai débuté celui-ci avec un petit historique du transhumanisme en me basant sur ce que j’avais pu lire de ce dernier, ce qui m’amène à citer des personnalités comme le Marquis Nicolas de Condorcet, Jean Pic de La Mirandole, Offray de la Mettrie, etc. Et c’est vrai que Condorcet, on peut déjà le considérer, au-delà même du technoprogressisme, comme une sorte de « proto-transhumaniste », parce que lui n’hésite pas à parler de la longévité en envisageant un temps long véritablement.

M.R. : Puis même, il sous-entend que l’évolution – ou l’auto-évolution de l’humain par la technique – n’est pas une abomination. Cela dit, dans l’interprétation plus contemporaine, ce terme « technoprogressisme », est adopté par Hughes, un peu après la sortie de son ouvrage « Citizen Cyborg », comme quasi-synonyme d’une expression, déjà utilisée dans son livre, qui est à ce moment là « democratic transhumanism ».

Donc, comme je le disais tout à l’heure, que ça soit du côté anglo-saxon ou américain du terme, « democrat » c’est de « gauche ». Pas « socialist » pour autant, puisque chez eux ça signifie plus « communist », traduit en européen. En tout cas, aujourd’hui le terme se rapproche plus de « social-démocrate ». Aujourd’hui, le transhumanisme est donc attentif à la question sociale, on peut même préciser que, dans la pensée de Hughes, il y a une dimension importante pour lui dans ce qu’il appelle le « technoprogressisme », chose qui, jusqu’à aujourd’hui, était un peu mis de côté par les technoprogressistes, c’est l’accession à la conscience d’autres espèces animales.

Hughes était notamment un militant pour le projet « Great Apes », donc tu vois, ça prend des dimensions plus larges, c’est de sa plume ce concept. Ce qui est important je pense aussi, c’est que dans les années qui ont suivi, entre les années 2000 et 2010, dans les cercles transhumanistes, ce terme « technoprogressism » a de plus en plus été associé à cette idée d’une branche du transhumanisme, celle qui est attentive notamment à ces 3 domaines que sont, les questions sanitaires, notamment de ce que Didier disait tout à l’heure des « risques existentiels », les questions environnementales, qui associe par exemple la branche des technogaïanistes qui existait avant, et encore plus la question sociale qui je pense est celle qui fait le plus le lien entre vos réflexions et les nôtres.

Donc tu vois, c’est une utilisation du terme technoprogressisme assez spécifique, peut-être un peu réductrice, d’où le fait que je sois complètement d’accord pour dire qu’il y a des formes de « technoprogressisme » bien antérieures à cette utilisation du terme par Hughes. Mais il est important de s’entendre sur ce qu’on dit pour répondre encore une fois à ta question.

Donc, si on prend le terme au sens historique et au sens étymologique, le terme « technoprogressisme », alors je pourrais être assez d’accord pour dire que le technoprogressisme, historiquement, a servi en quelque sorte de marchepied au transhumanisme. Mais si on le prend au sens restreint, qui est celui utilisé par les technoprogressistes ces dernières années, alors c’est plutôt le contraire, c’est plutôt le transhumanisme qui sert de marchepied au technoprogressisme. Tout ça au regard de ce que l’on a développé avant.

Après, ça c’est pour les mots, mais l’essentiel ce sont les concepts, les notions, voire les projets politiques qu’on met derrière. Donc, pour faire le lien et l’historique, en trois coups de cuillère à pot, dans un premier temps le progressisme – le concept de progrès tel que développé au XIXème siècle – a servi de marchepied à différentes formes de proto-transhumanisme, ou de transhumanisme, on peut penser à l’eugénisme de Francis Galton, qui émerge au XIXème siècle dans un contexte complètement positiviste, qui relève d’une certaine forme de « technoprogressisme » au sens premier du terme.

Il aura été un des éléments qui aura fait réfléchir les Haldane, les Huxley et compagnie. Ça a par ailleurs donné lieu à quelques interprétations catastrophiques, qui ont poussé jusqu’à l’eugénisme nazie au passage, historiquement parlant, puis ensuite, tout au long de la deuxième partie du XXème siècle, se développent les réflexions d’un Julian Huxley, jusqu’aux réflexions d’un Fereidun Esfandiary, à savoir le premier utilisateur du terme « transhuman », vocable que l’on retrouve dans son ouvrage publié en 1989 et intitulé Are You Transhuman?: Monitoring and Stimulating Your Personal Rate of Growth in a Rapidly Changing World (Emprunter). Une des personnes qui a influencé les Max More, Natasha Vita-More, etc. 

Donc ça c’est le transhumanisme, pour en arriver à cette interprétation contemporaine du mot « technoprogressisme », qui est la nôtre, c’est à dire associer à la fois la préoccupation sociale et politique et, ce qui pour moi est essentiel, la perspective de l’auto-transformation de la biologie humaine. Donc, si on a bien cet enchaînement à l’esprit, de cette manière là je m’accorderais à dire que le technoporegressime est un support du transhumanisme, qui est lui même devenu un support du technoprogressisme [rires].

M.T. : En fait, tu me corrigeras peut-être, si je résume un peu ce que tu me dis, c’est que le technoprogressisme dans son sens « historique » a été un marchepied au transhumanisme, par contre le technoprogressisme dans son sens spécifique et actuel découle du transhumanisme tel qui s’est établi aujourd’hui [Assentiment général].

Très bien, maintenant que nous sommes au point sur la définition des termes, voyons maintenant ce qui en découle dans la pratique avec ma troisième question.


C – Le technoprogressisme contemporain semble inscrit dans un cadre libéral et capitaliste – sans oublier sa part de social – mais ne peut-on envisager, à l’avenir, de dépasser ce cadre ?

D.C. : Oui évidemment, il y a notamment l’ouvrage d’Aaron Bastani intitulé Fully Automated Luxury Communism qui en parle.

Donc oui, théoriquement tout ça est possible et on reproche très souvent au transhumanisme de s’insérer dans la société actuelle, donc évidemment quand on parle de possibilités aujourd’hui, on parle dans le cadre de la société actuelle et nos propositions vont dans le sens d’une abolition des inégalités, mais bien sûr il subsiste des possibilités plus radicales.

Et pour le dire notamment en une phrase, le communisme intégral qui était « à chacun selon ses besoins et de chacun selon ses capacités », c’est devenu probablement quelque chose de techniquement possible aujourd’hui de manière totalement automatisée grâce aux progrès informatiques allant dans le sens d’une automatisation intégrale. Nous avons notamment pas mal réfléchi à la question, enfin on n’est pas les seuls, loin de là, concernant l’allocation universelle, le revenu de base, donc ça fait partie des pistes envisagées. Donc ma réponse c’est oui évidemment.

M.T. : C’était intéressant de rebondir là-dessus. Ta position sur ce sujet Marc ?

M.R. : Pour en venir à cette question, qui découle complètement de ce que l’on vient de dire :
Dans un premier temps, le transhumanisme contemporain – celui de Max More dont on a parlé tout à l’heure – s’inscrit complètement dans une certaine forme du « capitalisme ». Pas n’importe laquelle ceci dit, parmi les influenceurs de la pensée de Max More, on trouve par exemple Ayn Rand, où on rentre là dans le cadre d’un capitalisme qu’on peut appeler « Minarchiste » par exemple. C’est là quelque chose qui correspond bien à la pensée libertarienne dont on a parlé tout à l’heure.

Parmi les projets qui avaient été développés par les transhumanistes, autoproclamés, il y a le projet, qui existe toujours d’ailleurs, du « Seasteading ». C’est à dire l’idée d’aller développer un non-État dans les eaux internationales, pour pouvoir développer une société idéale – qui a d’ailleurs quelque chose de peut être un peu analogue aux idées de Jacque Fresco. Mais l’idée ici est un peu de se débarrasser le plus possible – ou du moins prétendre se débarrasser – de la question sociale. 

M.T. : Par contre, à la différence du TVP, pour rebondir un peu sur ton propos, ces derniers veulent faire une première ville dans l’idée d’en faire un showroom.

Même si, aujourd’hui, je pense qu’ils en sont encore assez loin – ils ne le feront peut-être jamais d’ailleurs – l’idée de base reste cependant de créer une ville expérimentale. Avec l’accueil d’étudiants et de chercheurs qui viennent expérimenter les idées de Jacque, afin de les éprouver. Le tout sous le regard des différents dirigeants internationaux, invités à venir constater les avancées de ce projet orienté vers une économie de l’accès dans un cadre hautement technique, axé sur une redistribution équitable des ressources. L’idée étant par là d’influencer les pays désireux de développer une alternative.

Au départ donc, l’idée n’est pas de se développer en marge de la société, on ne rejoue pas ici le scénario d’Auroville par exemple.

M.R. : Hum, sauf qu’au lieu d’avoir une idée au départ d’une redistribution qui soit décidée, organisée, par le haut, il considère que cet accès généralisé se ferait « naturellement », par la simple interaction des acteurs, n’est-ce pas, libres, formés, etc. C’est donc en effet deux conceptions opposées, classique quoi…

M.T. : …C’est l’idée qu’un contexte d’abondance opposé à celui d’un contexte de rareté…

M.R. : …Divisé ou entièrement libéralisé, pour résumer.

Donc, il y avait cette idée là chez les premiers transhumanistes, mais comme on l’a dit tout à l’heure, depuis le mouvement transhumaniste a bien évolué. Ce qui fait qu’aujourd’hui le transhumanisme est complètement éparpillé selon les croisements des axes dont on a parlé tout à l’heure (cf : schéma de Hughes). C’est à dire qu’on s’est rendu compte qu’en l’espace d’une vingtaine, ou une trentaine d’années, eh bien toutes sortes d’expressions sociopolitiques du transhumanisme se sont exprimées. Des plus à gauche aux plus à droite, des plus libérales, même aux plus conservatrices.

C’est à dire qu’il existe (et je ne vous donnerai pas les sources pour ne pas en faire la promotion, mais étant allé découvrir tout ça, je sais que ça existe) des transhumanistes pire que l’extrême droite ! C’est à dire qu’ils souhaitent un retour à une société hyper hiérarchisée, de l’ordre de la mouvance identitaire, mais des pires que vous pourriez trouver. On parle là de personnes qui estiment que la « bonne société », en gros, c’est celle qui fonctionne selon les règles des trois ordres qui nous viennent des périodes archaïques…

M.T. : …Là on met carrément les pieds dans un système moyenâgeux en effet…

M.R. : Sans forcément rentrer dans les détails, vous voyez que ce genre d’expressions du transhumanisme existe. Alors heureusement, c’est ultra, ultra minoritaire, mais c’est intéressant d’un point de vue extérieur si l’on peut dire, de savoir que ces choses là existent. Et puis, on connaît des transhumanistes communistes, comme je connais des transhumanistes chrétiens, comme je connais des gens qui réfléchissent à la manière dont le transhumanisme pourrait être interprété par l’Islam, etc.

Tout cela pour dire qu’on se rend compte que c’est divers. Il n’y a pas du tout de possibilités, du coup, comme beaucoup de critiques continuent à le faire, de réduire le transhumanisme à une simple expression du capitalisme.

Alors maintenant, une fois ceci posé, la question que tu posais tout à l’heure : est-ce qu’on peut imaginer un transhumanisme qui permettrait une redistribution des ressources, une sortie du capitalisme ? Donc ça, ça correspond à une ou plusieurs branches du transhumanisme et pour nous, tel que nous comprenons et exprimons les choses, ça correspond en effet à ce que nous appelons le technoprogressisme aujourd’hui, au sein du transhumanisme. On pourrait en parler de manière détaillée, mais là on ne va pas le faire, par exemple en rappelant que les technoprogressistes sont favorable à des projets de type revenu universel. Voilà, ils sont favorables, en général, à une ré-intervention de l’Etat, de manière beaucoup plus importante. Par exemple, une intervention de l’Etat en termes de politique de recherche, et donc éventuellement en termes d’investissements massifs dans la plupart des domaines de recherches possibles.

Didier Cœurnelle insisterait en parlant notamment de toute la recherche sur la longévité, de manière à justement garantir au mieux que les technologies qui émergeront de ces recherches, soient accessibles au plus grand nombre, et qu’elles ne coûtent pas un prix fou, comme dans un contexte de marché capitaliste, plus ou moins régulé.

M.T. : C’est donc un mélange entre une logique d’Etat Providence et de libéralisme.

M.R. : Oui exactement, le technoprogressisme se propose d’intervenir. Vous avez peut-être repéré sur le site de l’association – Jean l’a sans doute fait – qu’elle a publié récemment, et on est d’ailleurs encore en phase de promotion, un texte qui s’appelle le « manifeste viridien » qui donc, est une expression transhumaniste technoprogressiste, sur les questions environnementales. Eh bien, il n’est pas question là-dedans de laisser faire la main invisible du marché par exemple [rires], pour régler les problèmes environnementaux, dans une perspective transhumaniste.

Donc, en effet, la perspective capitaliste c’est pas ce qui intéresse le plus les technoprogressistes. Par contre il faut dire, je l’ai par ailleurs déjà un peu dit, parmi cette tendance technoprogressiste on trouve encore des interprétations diverses, c’est à dire qu’il y a des gens qui sont favorables à une très, très forte intervention de la collectivité. On l’a dit tout à l’heure, ça va jusqu’au communisme, alors qu’il y en a d’autres qui souhaitent simplement — vous avez lu le manifeste viridien ? [Assentiment général] Formidable… — Donc voilà, tout ça c’est pour la question vis à vis de la redistribution et par rapport à l’idée de capitalisme.

Je terminerais ma réponse à cette question là, pour dire qu’à titre personnel, moi par exemple je suis un militant, depuis la fondation de cette association, de l’association ATTAC, voilà, ça vous situe un peu le fait que je fasse probablement parti des gens les plus à gauche de l’association française transhumaniste et dans le cadre du technoprogressisme également. Je pense d’ailleurs qu’un James Hughes n’est pas très loin de cette approche là.

Après, il y a les gens qui sont plus… centre gauche on pourrait dire, voir même à l’AFT, il y a des gens qui sont en fait des libéraux, des libéraux qui considèrent simplement que, même s’ils trouvent que le centre de gravité de l’AFT est trop à gauche à leur goût, ils considèrent que c’est l’association, où l’organisme transhumaniste le plus efficace, le plus performant pour faire connaître le transhumanisme en France et dans l’espace francophone. Ils choisissent donc de soutenir cette association et puis, en même temps, en étant dans l’association ils tirent, en quelque sorte, sur la droite de l’association. Il y a donc tout ça dans l’AFT.

M.T. : Maintenant que nous avons fait le point sur la définition des termes et leur actualité, tournons nous vers le troisième élément de notre échange, à savoir le TVP.


D – Le TVP peut-il, selon vous, être qualifié de mouvement technoprogressiste ?

D.C. : Donc là je ne connais pas suffisamment The Venus Project, mais de ce que j’en ai lu, les questions vraiment politiques d’égalité, je pense avoir vu des choses traitant de cela, mais ma méconnaissance fait que je ne peux pas formuler une réponse claire là dessus.

Pour être honnête, moi j’avais l’impression que The Venus Project pour le moment était un peu en déshérence [confirmation de notre équipe], il y a pas mal de choses qui se passent et c’est très axé sur Jacque Fresco qui maintenant n’est plus parmi nous depuis un an ou deux. C’était plus axé, à ma connaissance, vers une sorte d’utopie dans laquelle (je peux tout à fait me tromper, mais on a l’impression, vu de l’extérieur) les questions d’égalité sociale étaient un peu moins abordées tout simplement.

M.T. : Pour ce point je renvoie tout un chacun à la lecture des ouvrages cités en amont, afin de prendre connaissance de la manière dont la question sociale est traitée par le mouvement. Pour ma part, en ayant pris connaissance des arguments du TVP en la matière, j’y retrouve beaucoup d’éléments analogues à ceux de James Hughes, que ce dernier développe de manière, il faut le reconnaître, plus approfondie que le TVP. D’où l’intérêt de cet échange. 

M.R. : Si je te reformule bien, la question était de savoir dans quelles mesures The Venus Project pouvait relever du technoprogressisme ? [Approbation de notre équipe]

Alors je pense que si on le prend le mot, dans son sens étymologique, la réponse est évidemment oui. Par contre, si on le prend dans son sens restreint, tel que l’utilise les transhumanistes, la réponse est évidemment non [rires]. Pourquoi ? Eh bien pour la raison que j’ai commencé à aborder un petit peu tout à l’heure – après je n’ai peut-être pas tout lu, c’est évident que je n’ai pas tout lu de la production de The Venus Project, notamment les ouvrages – mais pour ce que j’en comprends, j’ai l’impression que ce concept, qui est au cœur de la réflexion transhumaniste, qui est l’idée de l’évolution volontaire de la biologie de l’humain, elle n’est pas ou très peu présente. Et donc ça c’est problématique.

Je regardais tout à l’heure, avant de commencer notre skype, je repassais les grands principes, tels qu’ils sont exposés en ligne sur le site de Venus Project, et j’avais l’impression de constater que pour tout un ensemble de propositions portées par le projet, eh bien la critique transhumaniste, au sens positif du terme, elle rend une partie de ces propositions presque caduques. Tout ceci n’empêche pas pour autant que nous soyons évidemment d’accord sur les grands objectifs, atteindre la paix dans le monde, l’harmonie, etc, tout le monde ne peut qu’être d’accord je pense, d’ailleurs même les ultra-fachos transhumanistes qui veulent transformer les humains pour en faire une société hiérarchiques, comme dit tout à l’heure, le problème est ici de définir cette « harmonie » [rires].

Donc, pour ce qui est de chercher à atteindre ces objectifs là par la redistribution, par des réflexions sur l’architecture, tout ça, comment dire, c’est ce qu’essaie de faire l’humain en fait, depuis des milliers d’années à travers la politique, la culture, etc. Or, il nous semble que ça bute sur une dimension essentielle, c’est sur le fait que la biologie, et plus particulièrement le fonctionnement neurologique de l’humain, eh bien il rentre souvent en contradiction radicale avec ces projets. Et tous ces projets, depuis des millénaires, se cassent la tête sur ces données, sur lesquelles tu insistais tout à l’heure, qui sont probablement universelles, qui relèvent de la biologie.

M.T. : Tu veux parler des invariants mentaux et des variables sociales ?

M.R. : Oui absolument, qu’on pourrait appeler « pré-déterminations comportementales ».

Pour ma part il y a une réflexion tout à fait importante, que je mets dans le technoprogressisme, et que je dis depuis là aussi bien longtemps, ça fait sans doute partie des éléments qui m’ont amené au transhumanisme, en tout cas à mon interprétation du transhumanisme, c’est la réflexion d’un penseur français qu’on a un peu perdu de vue ces dernières années, ces dernières décennies, qui est Henri Laborit.

Si vous avez parcouru le site de l’AFT, vous avez peut-être mis la main sur plusieurs articles qui font référence aux travaux d’Henri Laborit. Dans les travaux de ce dernier, moi ce que je trouve le plus intéressant, c’est le développement de son concept de dominance. Vous voyez ? C’est ce qui avait été mis en avant dans les années 70s, à travers ce film qui s’appelle Mon oncle d’Amérique. Voilà une référence donc, qui n’est pas en lien direct avec le transhumanisme et le technoprogressisme, mais qui, à mon avis, est importante à découvrir. Je sais pas si ça t’intéresses que je le résume très rapidement, puisque ça me semble important pour percevoir la suite ? [Assentiment général]

Donc, Laborit expose, expérience à l’appui, que l’humain, pour lutter contre son angoisse existentielle, pour lutter contre le fait que cette angoisse soit démultipliée par la vie sociale – petite référence à la pensée de Sartre, « L’Enfer c’est les autres » -, pour lutter contre ça, il a trois voies.

La première voie, la plus fréquente, c’est la soumission, on intériorise l’angoisse, on intériorise les contraintes de la vie sociale. Il s’amuse ensuite à développer quantités d’exemples de maladies, de somatisations, qui peuvent être provoquées par ces attitudes là. Il dit que c’est l’attitude de l’enfant qui obéit à ses parents, de l’élève qui obéit au maître, du citoyen qui obéit à la loi, etc.

La deuxième voie c’est l’inverse. Après, lui le met dans cet ordre mais, je vais garder le point 2 pour la fin.

Il faut savoir qu’à l’époque où il écrit ses théories et son bouquin le plus célèbre, intitulé l’Éloge de la fuite, il pense à ce moment là que la meilleure solution c’est la fuite, c’est à dire d’arriver à sortir du système, à se mettre de côté. On est dans les années 70s, donc on rêve d’aller élever des chèvres sur le Larzac et on pense que c’est la solution.

Ce qu’il met en deuxième solution, parce qu’il y a une critique sociale forte dans son œuvre politique en même temps, c’est la dominance. C’est à dire qu’il dit que neurologiquement on est construit pour exercer notre dominance, il dit bien « dominance », c’est un néologisme au moment où il en parle, il ne parle donc pas de « domination ». Il utilise ce terme parce que pour lui ça correspond à un processus biologique, et par exemple il met en avant, ce qui a été attesté par ailleurs, que le fait d’exercer sa domination ça fait produire de la sérotonine, et donc ça nous met dans un état de bien-être, d’apaisement, de satisfaction et c’est là quasiment l’un des principes biologiques du bonheur, la sécrétion de sérotonine.

Tout ça pour dire qu’on le fait donc spontanément à toute échelle, c’est à dire que c’est pas seulement le chef politique qui, quand il a harangué les foules, lorsqu’il a fait le plein de sérotonine et qu’il se sent bien, non non, c’est également entre copains qu’on fait ça, dans sa famille, les parents envers les enfants, entre amis, etc.

C’est illustré par exemple par la pièce de Nathalie Sarraute, « Pour un oui ou pour un non », je sais pas si ça vous dit quelque chose, c’est tout à fait intéressant et ça parle de deux amis de trente ans qui se rendent compte qu’ils ont un rapport de dominance qu’ils ont depuis toujours et qu’en fait c’est juste insupportable quoi. Je ne vais pas vous raconter la pièce mais bon, ça amène à dire que ces processus là sont ancrés très profondément dans notre biologie, et que nos cultures, nos philosophies, nos religions, nos lois, ne sont que des vernis qui ont été déposés sur ces pré-déterminations, qui se sont développées dans la logique de l’évolution darwinienne depuis au moins 300 mille ans, voire davantage…

M.T. : …Avant que tu continues Marc, est-ce qu’on ne se heurte pas aussi à une théorie qui a été écartée depuis un certain temps, à savoir la théorie du vernis, qui était développée par Thomas Henry Huxley, un des plus fameux défenseurs de Darwin à l’époque, que l’on nommait d’ailleurs le « bouledogue de Darwin » ? Une théorie qui postulait que lorsque l’on gratte un peu on retrouve des mécanismes biologiques chez l’Homme qui sont très négatifs.

Par contre, depuis, il y a eu des travaux réalisés en éthologie et dans les sciences cognitives, qui montrent que l’Homme est un conglomérat d’innéisme qui sont à la fois négatifs et positifs. C’est à dire qu’on sait aujourd’hui que nous sommes également des êtres sociaux. Il a également été démontré que l’on se met des fois dans des situations où notre vie est mise en danger, mais on va tout de même la mettre en danger pour autrui, alors qu’en fait on a tout à perdre. [Marc : On est bien d’accord.]

On est là face à des réflexes biologiques qui montrent qu’on reste dans cette idée de groupe, dans cette idée qui, au-delà de la dominance ou quoi que ce soit d’autre, qui existent aussi bien entendu, nous amènent à relativiser les anciennes positions trop manichéennes.

Pour aller plus loin, il est intéressant de voir les travaux de Frans de Waal sur le sujet, notamment son ouvrage Le Bonobo, Dieu et nous, ouvrage que je trouvais intéressant vis à vis des origines biologiques et éthologiques de la morale. Et ce qui était intéressant à voir, c’est qu’en fait on est un peu aujourd’hui, entre guillemets, vis à vis de nos cousins proches, à savoir les bonobos et les chimpanzés, un mélange des deux. C’est à dire que du côté du chimpanzé, pour le coup le principe de dominance y joue pour beaucoup, mais pas que d’ailleurs, il y a aussi des mécanismes d’empathie, et chez le bonobo il y a beaucoup de principes très sociaux qui sont mis en place, tout en exprimant également des principes de dominance. On a donc un mélange des deux selon l’auteur, on a pris beaucoup du bonobo et du chimpanzé, ce qui m’amène à dire que ce dont tu parles existe, mais pas que. C’est peut-être la seule critique que j’aurais à faire. 

M.R. : …Quelques études sur les neurones miroirs, la dimension biologique de l’empathie, etc. Mais même on peut aller plus loin, ces comportements par exemple, de dominance, qu’on à tendance à voir de manière négative, ce qui est tout à fait le cas sous la plume d’Henri Laborit, ils ont également leurs aspects positifs, pour ne pas dire nécessaires, dans certaines circonstances.

Par exemple, la possibilité de dominance passe par une faculté à l’agressivité, et l’agressivité, à l’origine elle est sélectionnée parce qu’elle est vitale, il faut être capable soit de fuir à toutes jambes, soit de se défendre, soit même dans certaines circonstances d’attaquer pour manger, par exemple [rires]. Et dans la vie sociale actuelle aujourd’hui, il peut arriver que des degrés d’agressivité, pour être performant, efficace dans une action donnée, soit positif également.

Donc la plupart de ces aspects ont leurs dimensions positives et négatives. On peut dire la même chose de l’empathie, on a tendance dans certains domaines, et secteurs sociaux, de considérer l’empathie comme quelque chose de forcément positif, mais trop d’empathie peut avoir des conséquences négatives.

M.T. : En tant que travailleur social je peux te suivre là-dessus, quand tu es une éponge, au vu de ce à quoi on est confronté, tu en pâtis. L’empathie est donc à la fois nécessaire et délétère selon son dosage et les situations auxquelles on est confronté.

M.R. : Donc, au final, ce qui est important à partir de tout ça c’est un, d’en avoir pris connaissance, de l’avoir découvert ; deux, d’avoir réalisé que donc il y a des substrats biologiques importants pour expliquer tous ces différents types de comportements ; et trois, de s’être rendu compte qu’aujourd’hui on commence – et on ne fait que commencer – on commence à avoir des outils pour intervenir dessus, et donc pour faire des choix délibérés sur la manière dont on peut orienter ces différents processus. Et c’est là qu’on arrive à une approche qui est réellement de l’ordre du transhumanisme.

Après, comment on intervient dessus ? On peut, à partir de tout ça, choisir la voie plutôt extropienne, libertarienne ou fascisante, ou bien on peut choisir une voie technoprogressiste, au sens contemporain et transhumaniste du terme. Le Venus Project, s’il intègre donc, ces nouvelles réflexions, s’il intègre la réflexion transhumaniste, alors il peut rejoindre les conceptions du technoprogressisme telles que nous les concevons. Je pense qu’en effet les deux ne sont pas loin, mais tant que le Venus Project et les autres projets que je vois comme équivalent – je pense par exemple au « Millenium Project », qui a des ramifications qui rejoignent certaines des préoccupations du Venus Project, notamment la notion universalisante – tant que ces différents projets n’ont pas intégré la réflexion transhumaniste, à notre avis il leur manquera quelque chose de tout à fait essentiel.

C’est ce qui fait que jusqu’à présent, nous, on a préféré creuser notre sillon, plutôt que de nous efforcer de rejoindre par exemple un projet ou un autre.

On va arriver à quelque chose de très concret maintenant. Je pense que votre démarche nous intéresse beaucoup, donc s’il y a moyen d’établir des ponts, de permettre des échanges, ça ne peut nous paraître qu’intéressant. Par exemple, je trouve très intéressant que Jean soit à la fois avec un pied dans l’AFT et un pied dans Civilisation 2.0, sans oublier Venus Project, donc voilà, si vous pensez à des choses concrètes, qui peuvent permettre que ces deux types de réflexion puissent se rencontrer, on sera à fond avec vous.

J.D. : Si l’on s’en réfère à la FAQ du TVP, on peut voir que les plans de The Venus Project offrent à la société un éventail plus large de choix basé sur les possibilités scientifiques et orienté vers une nouvelle ère de paix et de durabilité pour tous. Grâce à la mise en œuvre d’une économie mondiale basée sur les ressources et à une multitude de technologies innovantes et respectueuses de l’environnement directement appliquées au système social, les propositions du TVP réduiront considérablement la criminalité, la pauvreté, la faim, le sans-abrisme et de nombreux autres problèmes urgents qui sont courants partout dans le monde d’aujourd’hui.

Même si ça peut paraître un peu confus de prime abord, lorsqu’on étudie davantage TVP, on peut y voir que le projet de société qui est proposé par The Venus Project, cette nouvelle conception sociale, incluerait exactement cela : c’est à dire une société qui intégrerait à son organisation ses connaissances et technologies les plus à la pointe. Ainsi, à mon sens, ce qui est actuellement développé par le transhumanisme serait évidemment étudié et intégré, je pense, à ce projet de société. Pour moi c’est une évidence en fait, maintenant il faut voir comment le projet va évoluer en passant au banc d’essai, au regard des quatre phases de développement du projet et de sa réalisation, qui passe actuellement par la construction d’un nouveau centre de recherche et/ou d’une ville. C’est aussi lors du développement de cette ville et de sa construction que seront mis à jour les concepts du TVP, si l’on se réfère à ce qu’annonce la Direction du projet.

Donc d’une part le projet lui même – en l’état – doit être actualisé et corrigé (ce qui pose problème aujourd’hui en raison d’un manque évident de ressources et d’autres problèmes), et d’autre part – selon le plan annoncé par le TVP dans ses 4 phases de développement – cette première communauté prototype sera actualisée en permanence, en intégrant les nouvelles connaissances scientifiques, les nouvelles technologies, etc.

Tout cela pour dire que je pense qu’il ne faut pas avoir une lecture qui serait erronée, en l’occurrence voir le TVP comme un projet fini et qui ne changera pas puisque, en l’essence même, dans sa définition, c’est un projet qui est amené à évoluer en permanence sur base des progrès à venir dans tous les domaines de la recherche et du développement technique et scientifique. Il y a donc une base qui est déjà écrite et modélisée, une première philosophie, et des objectifs qui sont très clairs, mais c’est amené à évoluer. Après, ça bien sûr, c’est s’ils respectent leurs objectifs et la définition originelle du projet. 

M.T. : Pour rebondir sur les propos de Jean : initialement c’est ce qui était prévu. Mais maintenant, quand on voit les mouvements à l’échelle internationale, et au regard de nos échanges sur les avancées scientifiques de ces dernières années avec les différentes cellules du TVP – Jacque Fresco étant mort à 101 ans il n’était pas nécessairement à jour – on s’est rendu compte du développement d’une certaine fascination délétère pour ce dernier auprès des sympathisants. Une fascination qui a contribué, d’une certaine façon, à ce qu’ils ne se décrochent pas de certaines conceptions un peu éculées.

Je pense notamment au béhaviorisme, une branche intéressante mais qui est largement datée aujourd’hui comparée aux Thérapies cognitivo-comportementales (TCC), qui se sont développées par la suite avec le développement des sciences cognitives, et ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres. Donc oui, la mise à jour constante, de base, fait partie intégrante du projet, si l’on s’en tient à l’idée principale. C’est pour ça que nous, en tant que Civilisation 2.0, on continue de défendre ce projet, mais vu qu’on ne travaille pas directement pour eux, on aimerait reprendre les idées de fond du TVP, afin d’établir des ponts avec d’autres mouvements, tels que l’AFT ou d’autres, notamment TROM pour l’Europe de l’Est, qui travaille aussi sur l’idée du TVP mais qui s’est développé à part.

L’idée est donc d’unir nos réflexions afin de discuter ensemble sur l’avenir d’une société en devenir. Quels sont les « meilleurs scénarios » à imaginer en somme. Les « meilleurs scénarios », en l’état, constitueront bien sûr un « idéal » éventuellement « utopique », mais le tout c’est de se fixer un idéal afin de s’en approcher le plus, et ce de la façon la plus pertinente et constructive possible, en l’état actuel de nos connaissances. C’est pourquoi aujourd’hui nous œuvrons à une mise à jour et à la promotion des idées de fond de l’Economie Basée sur les Ressources (EBR), dont notamment l’une d’elles qui revêt, pour moi, une importance capitale, celle parlant d’un dépassement d’une économie capitaliste pour nous orienter vers une économie de l’accès. Une telle forme d’économie permettant par la même occasion un développement libre, et consenti, des individus.

M.R. : Peux-tu me rappeler ce qu’est l’EBR ?

M.T. : L’Économie Basée sur les Ressources (EBR), c’est le principe de base du TVP, l’idée étant de faire un inventaire des ressources planétaires, de nous orienter par la même occasion vers un fédéralisme planétaire, et de pratiquer ensuite une redistribution en lien avec les besoins de chaque territoire. Ce projet amène également à l’abolition des frontières nationales, mais pas des individualités pour autant, c’est à dire que chaque individu continue à se développer librement, mais avec en tête l’idée que la Terre est à prendre en compte comme une ressource globale. L’idée de fond est donc pertinente selon nous.

Par contre, dans la façon dont ils l’ont développé [le TVP], il y a pleins de points qui, soit ne fonctionnent plus, soit ne marchent tout simplement pas. Civilisation 2.0 ne désire donc pas nécessairement travailler sous la coupe du TVP, sous la coupe de l’AFT ou d’un quelconque autre organisme, l’idée serait plutôt d’établir une certaine liaison, comme tu le disais tout à l’heure Marc, notamment dans le cas de Jean avec son pied dans l’AFT, chez nous et au TVP, plus que moi d’ailleurs pour ces derniers. C’est intéressant, selon nous en tous cas, de voir les choses ainsi. À l’avenir, mon souhait serait également, notamment lorsque tu parlais de collaboration, de développer des articles de fond sur des rubriques en lien avec le TVP et des rubriques en lien avec les sciences en général.

Au-delà de tout ça, l’idée serait également de mener une réflexion de fond sur un sujet qui pour ma part m’intéresse depuis quelques années, à savoir la pensée « proactive ». Cette idée de faire de la prospective mais avec les pieds dans le réel, les pieds vraiment « sur le terrain », afin de voir ce qui se fait, et voir ce qu’on peut en tirer. C’est donc là un de nos objectifs, c’est à dire continuer à développer notre pensée critique, et former éventuellement, à terme, une forme de « Think Tank ». Un Think Tank à destination des gens ayant les moyens de développer des solutions sur le terrain, et qui désirent trouver des sources de réflexion qualitatives en la matière. Si on arrive à se développer en ce sens, avec une équipe et des collaborateurs avec lesquels nous pourrons œuvrer, que ça soit des collaborateurs directs ou des partenaires, on pourrait ainsi développer ce type de réflexions jusqu’au bout et donner aux personnes désireuses d’investir en ce sens l’occasion d’avoir des ressources (intellectuelles et idéologiques) pour réaliser leurs objectifs, et ce de la manière la plus pertinente qui soit.

Parce qu’actuellement, quand on parle d’alternatives, le problème est que ce milieu est rempli de « bullshits », ce qui rend la tâche compliquée pour les gens de bonne volonté de trouver des ressources pertinentes. Concernant le transhumanisme, ce que je trouve intéressant, c’est que l’AFT s’est développée et qu’on commence à avoir accès à des ressources pertinentes. La preuve étant, Terence Ericson, ou même Alexandre, commencent à se rapprocher de gens comme , de la chaîne Science4All, qui a déjà un bon pied dans la vulgarisation et la recherche scientifique de qualité, ou encore le récent rapprochement avec le philosophe et youtubeur Monsieur Phi, qui a également déjà parlé de « philosophie expérimentale » dans ses travaux de vulgarisation, vous établissez donc de plus en plus de ponts avec le rationalisme. Un rationalisme fonctionnel et efficace, et je pense que c’est ce que le TVP aurait dû faire, et ils n’ont, selon nous en tous cas, pas encore réussi à passer ce cap là. Ils ont réussi à s’attirer l’intérêt des milieux ésotériques et borderlines, mais n’ont pas réussi à s’attirer l’intérêt du camp rationaliste, sauf à ces débuts.

En effet, le TVP avait à l’époque un peu réussi, avant l’arrivée de Peter Joseph et de Zeitgeist, à toucher des universitaires – comme aujourd’hui Erik Brynjolfsson, Lawrence Krauss – sauf qu’ils ne constituent pas, actuellement en tous cas, la majorité des personnes enclines aux idées du TVP. La raison étant, selon nous, le fait que Zeitgeist ait ouvert grand les portes à toutes les alternatives moins sérieuses pour appuyer le projet, portes que le TVP n’a pas contribué à refermer complètement depuis lors. D’où l’intérêt pour nous d’emprunter un chemin quelque peu similaire au vôtre. Civilisation 2.0 aimerait ainsi fédérer des ressources pertinentes, qui puissent vraiment nous faire avancer, notamment sur certaines idées de fond de l’EBR.

Tout ceci m’amène du coup à notre ultime question…

Notes et références :

1. « Quand il en aura terminé avec les forces anarchiques de sa propre société, l’homme travaillera sur lui-même dans les mortiers, dans les cornues du chimiste. Pour la première fois, l’humanité se considérera elle-même comme une matière première, et dans le meilleur des cas comme un produit physique et psychique semi-achevé. Le socialisme signifiera un saut du règne de la nécessité dans le règne de la liberté, aussi en ce sens que l’homme d’aujourd’hui, plein de contradictions et sans harmonie, frayera la voie à une nouvelle race plus heureuse. » – Léon Trotsky, novembre 1932

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